Dans un dossier paru dans l’hebdomadaire «Le Point», une analyse détaillée des relations entre l’Algérie et la France qui peinent à se réchauffer durablement. Début avril, une visite du premier ministre français, Jean Castex, a été reportée au dernier moment, officiellement en raison de la crise sanitaire, en réalité parce qu’Alger était mécontent du format de la délégation française. Début d’une fâcherie qui s’annonce longue.
Un «système politico-militaire» algérien «fatigué», accusé d’entretenir une «rente mémorielle» en servant à son peuple une «histoire officielle» qui «ne s’appuie pas sur des vérités». Les mots sont tonitruants, les réactions aussi. Dans son édition du 13 octobre, l’hebdomadaire «Le Point» retrace les contours d’une relation bilatérale qui ne s’apaise jamais. En France, on croit que le régime algérien est un danger qui se laisse aller aux fumées d’un nationalisme présomptueux et à de vieux ressentiments contre l’ancien colonisateur. Il serait malsain de laisser concevoir des espérances exagérées sur la nature de ce régime, croit savoir un ancien diplomate français.
«Cet automne, les frictions entre Alger et Paris se répandent comme un malaise diffus, perturbant jusqu’aux mondanités. Dire la vérité, c’est pourtant ce qu’a décidé de faire Emmanuel Macron. Fin septembre, le président de la République française choisit une rencontre avec des descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie pour pointer du doigt le “système politico-militaire” algérien, accuser ses dirigeants de cultiver une “rente mémorielle” et même douter de l’existence d’une nation algérienne avant la conquête française de 1830, cédant ainsi, selon plusieurs sources informées des jeux de pouvoir à Paris, aux “faucons de l’Élysée” qui préfèrent aller à l’affrontement avec l’Algérie ou avec le Mali» écrit Le Point.
«Tous les acteurs de la relation bilatérale s’accordent à dire que le contentieux autour de la mémoire n’est pas au cœur des tensions des derniers mois, mentionne l’hebdomadaire. Un «clash diplomatique [est] survenu après l’annulation, en avril, de la cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien. Ce mini-sommet, qui devait se tenir à Alger avec le Premier ministre français, Jean Castex, avait été “reporté à une date ultérieure” à la dernière minute par les autorités algériennes, vexées de voir le nombre de ministres se réduire de jour en jour – officiellement en raison de la pandémie» a-t-on rappelé.
«Dans cette situation, le devoir est de faire taire son émotion et d’étudier, d’une pensée froide et claire, les causes du mal, pour tâcher d’entrevoir la manière dont il est possible de l’atténuer. Cela n’est pas possible dans le cas franco-algérien. La conduite algérienne dans beaucoup de dossiers sensibles ne fut qu’une série d’hésitations, de malentendus, de fautes. La conduite de la France fut d’un suprême laxisme, un tissu d’étourderies» avait déclaré à Barlamane.com une source marocaine au fait du dossier.
Tensions économiques, humeurs, aigreurs
«Dans le milieu économique français, on répète à l’envi que “les freins mis aux investisseurs français” sont «depuis des années» bien plus importants que «pour n’importe quel autre investisseur étranger», en citant en exemple Total, Renault, Peugeot qui ont vu leurs ambitieux projets malmenés, et, plus récemment, Suez et la RATP, dont les contrats n’ont pas été renouvelés dans la gestion de l’eau et du métro d’Alger. “L’idée accompagnant un méticuleux French bashing est que la France aurait “trop’’ profité des réseaux du président Bouteflika”, s’insurge-t-on côté français. “Au détour de certaines discussions avec nos partenaires officiels, on nous le faisait souvent comprendre. Les Algériens ont sciemment entretenu un amalgame entre les oligarques, tombés après la chute des Bouteflika, et la France. Une manière de redistribuer les cartes et de choisir, pour l’après-Bouteflika, de nouveaux partenaires», assène un spécialiste de la relation bilatérale”», cité par Le Point.
«L’actualité a vite donné raison aux chefs d’entreprise qui appréhendaient “des répercussions économiques” à la crise diplomatique: vingt influents hommes d’affaires de la région de Batna (est de l’Algérie) ont annoncé, le 7 octobre, leur décision de boycotter toute coopération avec des entreprises françaises et d’abandonner tous les contrats en projet avec des partenaires tricolores. D’après les médias locaux, cette attitude “devrait se généraliser à tous les opérateurs algériens en lien avec des sociétés françaises à travers le pays”. “Au-delà du French bashing qui s’est renforcé en Algérie, comme partout dans l’Afrique francophone depuis l’intervention en Libye [en 2011], la France ne comprend pas que la société algérienne et ses élites ont beaucoup changé depuis vingt ans» observe un ancien haut cadre de l’État”» indique Le Point.
«À côté des malheurs récurrents du secteur privé, se sont accumulés de nombreux grains de sable dans les rouages de la coopération entre Paris et Alger et qui, à force, ont fini par complètement bloquer a machine», selon les interlocuteurs du Point.
«Fin septembre, le gouvernement français a annoncé une réduction de moitié des visas accordés aux Algériens en guise de représailles face au refus d’Alger d’accueillir les immigrés clandestins expulsés de France. Paris avait réitéré son souhait de voir Alger récupérer les quelque 7 700 personnes visées par une obligation de quitter la France, alors que l’Algérie n’avait permis l’expulsion vers son territoire que de 22 concernés en moins d’un an. Paris insiste sur le caractère “dangereux” de certains profils, mais Alger rétorque que “les plus dangereux sont des Franco-Algériens qui n’ont aucune attache familiale ou autre avec le pays d’origine”» note-t-on.
«Les exemples de malentendus s’accumulent. En août, Paris est ulcéré par l’attitude d’Alger quand Macron décide d’envoyer deux Canadair – alors mobilisés en Grèce et dans le Var – pour participer à la lutte contre les terribles incendies en Kabylie et dans l’est du pays. Non seulement Alger n’a pas exprimé de remerciements, mais les médias étatiques ont plutôt parlé d’une “location auprès de l’Union européenne”! Les différends s’étendent désormais également à la coopération culturelle (comme sur l’extension du réseau d’enseignement du français) et militaire (le Mali et la forme de l’engagement post-Barkhane)» précise-t-on.
«La France attendait une formulation claire du côté algérien sur la façon dont Alger comptait s’engager après le redéploiement français au Sahel, mais en vain. On pourrait alors comprendre la colère de Macron si des promesses ont été tenues et non assumées ensuite», conjecture un éditorialiste algérois. «Il ne faut pas tout mélanger, tranche-t-on du côté des sécuritaires algériens. Nous traitons chaque dossier selon un agenda bien précis. Par ailleurs, quelle que soit l’ampleur des tensions, des secteurs restent imperméables aux aléas politiques. La coopération sécuritaire est, pour ainsi dire, sanctuarisée: des deux côtés, personne dans les “services’’ [de renseignement] ne laissera le téléphone sonner dans le vide, car cela concerne la protection de vies humaines» souligne-t-on.
«Macron avait misé sur deux aspects: apaiser la question mémorielle et raffermir une relation directe avec les autorités algériennes comme préalables pour débloquer les trop nombreux dossiers en souffrance. Mais ça bloquait de partout, et c’est ce cumul qui a poussé Paris à renverser la table» dévoile le magazine français.