L’Algérie bouleversée, consternée, en détresse, s’occupe à guetter de nouveaux partenaires économiques et tourner le dos à la France. Finie cette illusion tenace qui prétend que le régime d’Alger a discerné tout le parti qu’il pouvait tirer de la conformité de langage qui rapprochait de lui Paris.
Les questions qu’offre la situation franco-algérienne sont graves, mais ne sont pas très nombreuses. Le cercle des prémonitions quelque peu probables, en y comprenant même des prémonitions extrêmes, n’est pas long à parcourir. L’Algérie et la France paraissent condamnées à de douloureuses perplexités et à des déchirements cruels. Les relations entre les deux capitales sont pris d’une sorte de vertige, qu’elles ne savent que flotter entre les velléités stériles et les impatiences troublantes. Abdelmadjid Tebboune ne parvient pas à désarmer les hostilités antifrançaises dans son régime. Les apparences de concessions et le semblant d’égards pour l’opinion ne suffisent plus.
«Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, le monstre se réveille parfois, estropiant un malheureux qui a marché au mauvais endroit. Sous la terre vit encore la guerre d’Algérie. Dans les mémoires aussi, à vif des deux côtés de la Méditerranée. Des générations d’historiens ont ausculté cette boîte à chagrins. En six décennies, Paris et Alger ont enchaîné les rendez-vous manqués. La dernière poussée de fièvre date du 30 septembre» écrit L’Express dans sa nouvelle livraison.
«Après une série de gestes mémoriels–restitution de 24 crânes de résistants algériens, publication du rapport de l’historien Benjamin Stora commandé en vue d’une « réconciliation des mémoires », reconnaissance de l’assassinat par l’armée française de l’indépendantiste Ali Boumendjel–, Emmanuel Macron change brusquement de ton» indique le magazine.
«Ce régime s’est bâti sur le nationalisme antifrançais et en tire sa seule légitimité», convient le politologue Kader Abderrahim. Le peuple en dénonce l’usure depuis la révolution de 2019. Pour le magazine, «une fois de plus, le conflit mémoriel emporte avec lui la relation bilatérale, en crise dans toutes ses dimensions. La coopération en matière de contreterrorisme au Sahel ? Suspendue, depuis l’interdiction faite aux avions français de l’opération Barkhane de survoler le territoire. Le partenariat économique? Incertain.»
Pour beaucoup, le malheur des responsables algériens est qu’ils trouvent plus facile de mettre leurs passions partout que de s’occuper sérieusement de l’avenir du pays, ils finissent par n’avoir plus même le sens des vérités les plus évidentes. Ils en sont venus à ne plus savoir ce que c’est que la diplomatie dès que leurs intérêts de parti sont en jeu ; ils ont le goût des procédés sommaires, des approximations. Ils se perdent dans l’arbitraire stérile, et rien certes ne le prouve mieux que cette série de déclarations incohérentes auxquelles ils se sont laissé entraîner à la suite de la malheureuse affaire des aveux d’Emmanuel Macron, le 30 septembre.
«Entre les deux États, l’histoire douloureuse de cent trente-deux ans de colonisation fut longtemps passée sous silence. La relation économique prime. Non sans crispations, comme en 1971, lorsque Alger nationalise les hydrocarbures. Pendant ce temps, l’Algérie cultive son récit national autour du peuple libérateur du colon. L’histoire, réécrite de part et d’autre, nourrit les surenchères. En France, la mémoire de la guerre d’Algérie sert à fabriquer des discours sur l’islam, les immigrés et la question coloniale. Derrière les symboles, la fracture se creuse» souligne-t-on. «Deux conceptions s’opposent, reprend Benjamin Stora : la vision algérienne, qui pose la repentance comme préalable à toute discussion, et la stratégie française des petits pas.»
«Aux désaccords diplomatiques se greffent des divergences économiques. L’Algérie se tourne peu à peu vers de nouveaux horizons, la Chine en tête, aujourd’hui son premier partenaire. Et la chute de Bouteflika en 2019 après les manifestations du Hirak n’arrange rien. La RATP, Total, Suez perdent des marchés. Est-ce cela qui a affranchi Emmanuel Macron du langage diplomatique le 30 septembre? Peut-être, mais ces propos traduisent surtout son impatience face au pouvoir algérien, estime un proche» note L’Express.
«L’Elysée a le sentiment de s’être fait balader en engageant un travail mémoriel sans aucun retour et avec même une hostilité affichée, comme lorsque, en avril, un ministre déclare la France “ennemie éternelle de l’Algérie”. Las, le président a changé de pied. Mais, à Alger, les hirakistes ironisent : «Où était Emmanuel Macron quand nous manifestions tous les vendredis contre le système politico-militaire qu’il dénonce aujourd’hui ?» Le 60e anniversaire de l’indépendance s’annonce glacial» a-t-on conclu.
Tel est, d’un autre côté, l’enchaînement des choses entre la France et l’Algérie que ça ne sort d’une crise que pour entrer dans une crise nouvelle, ou tout au moins dans un ordre de complications d’une apparence assez inattendue. Depuis près d’une année déjà, les deux capitales en sont là avec des questions politiques qui ont passé par toute sorte de petites péripéties sans pouvoir arriver au vrai dénouement.