L’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko a déclenché des troubles qui ont fait au moins cinq morts.
À l’aube d’une nouvelle semaine de manifestations et après des troubles qui ont fait au moins cinq morts au Sénégal, la pression est forte sur le président, Macky Sall, pour qu’il réponde à la colère de la rue.
Le médiateur de la République, Alioune Badara Cissé, a pressé le chef de l’Etat de sortir de son silence pour s’adresser aux jeunes, ajoutant sa voix aux appels de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou des organisations africaines à toutes les parties pour chercher les solutions d’une désescalade. Les Sénégalais «veulent vous entendre, pourquoi diable ne leur parlerez-vous pas ?», a demandé devant la presse cet ancien proche collaborateur et ministre de M. Sall, volontiers critique du pouvoir : «Faites-le avant qu’il ne soit trop tard.»
Le Sénégal, réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest, va au-devant d’une nouvelle semaine à risques après avoir connu de mercredi à vendredi ses troubles les plus graves depuis des années. Un collégien a été tué samedi 6 mars lors de manifestations à Diaobé (sud), portant à au moins cinq le nombre des morts depuis mercredi.
Un collectif qui entend porter la contestation, le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), a appelé à trois jours de nouvelles manifestations à partir de ce lundi. Il réclame de relaxer des gens «arbitrairement» détenus, parmi lesquels Ousmane Sonko, dont l’arrestation a mis le feu aux poudres, ainsi qu’une enquête sur les événements. Le collectif remet en question la légitimité du président.
Ousmane Sonko crie au complot
M. Sonko, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de l’élection de 2024, doit être présenté à un juge lundi. Il avait été arrêté mercredi, officiellement pour trouble à l’ordre public, alors qu’il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d’un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos. Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président lui-même pour l’écarter de la prochaine présidentielle. La décision, attendue lundi, de le relâcher ou de l’écrouer s’annonce lourde de conséquences.
Exprimant leur «préoccupation», les ambassades de l’Union européenne (UE) et de ses Etats membres, mais aussi du Royaume-Uni, de la Suisse, des Etats-Unis, du Canada, de la Corée du Sud et du Japon ont appelé à «une restauration pacifique du calme et du dialogue», soulignant que «le Sénégal a une longue histoire d’Etat de droit, de démocratie participative, de tolérance et de respect des droits humains». Notant «avec inquiétude que de nouvelles manifestations sont prévues [cette] semaine», la commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a appelé «au calme et à la retenue».
Les autorités ont suspendu l’école sur tout le territoire pour la semaine, afin de «protéger les élèves, les enseignants et l’administration scolaire» des heurts redoutés. De nombreux enfants et adolescents ont pris part aux manifestations, ont constaté les journalistes de l’Agence France-Presse (AFP). Les autorités «recommandent fortement aux parents d’élèves de garder un œil vigilant sur leurs enfants». En réalité, beaucoup d’enfants échappent à une telle vigilance dans un pays qui affichait en 2019 un taux de scolarisation en primaire voisin de 80 %, selon l’Unesco.
Une jeunesse «qui sert d’aliment aux poissons»
L’arrestation de M. Sonko a provoqué la colère de ses partisans et déclenché dans la capitale, Dakar, et dans tout le pays des affrontements entre jeunes et forces de l’ordre, des saccages et des pillages. Elle a aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l’exaspération accumulée par la dégradation, au moins depuis le début de la pandémie de la Covid-19, en 2020, des conditions de vie dans un pays déjà pauvre.
Le médiateur de la République, censé recueillir les doléances contre l’Etat, a dressé un état des lieux sombre du Sénégal, évoquant des inégalités sociales béantes et une jeunesse «qui traverse les océans sans bouée de sauvetage [et] qui sert d’aliment aux poissons en haute mer». Il faisait référence aux migrants qui tentent de rallier l’Europe. Il était «prévisible qu’il arriverait un moment où le couvercle sauterait», a-t-il dit, pressant M. Sall d’écouter les jeunes.
Le président a démenti, fin février, être pour quoi que ce soit dans les ennuis judiciaires de M. Sonko. M. Sall, confronté à des décisions délicates entre l’indépendance proclamée de la justice, la pression de la contestation et de la pandémie et les conséquences politiques du sort de M. Sonko, a depuis gardé le silence en public sur l’affaire. Son ministre de l’intérieur a prévenu que l’Etat emploierait tous les moyens nécessaires pour rétablir l’ordre. Il a aussi fait miroiter un allègement du couvre-feu instauré contre la pandémie.