Le Monde diplomatique n’est pas d’accord avec la décision du président français Emmanuel Macron de considérer le plan d’autonomie proposé par le Maroc comme «la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée [au Sahara marocain] conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.» Dans un article publié en Une du numéro de septembre de ce mensuel, sous le titre «Le Sahara selon Macron», le ton est donné dès le premier paragraphe. Selon le rédacteur en chef, Akram Belkaïd, le président Macron aurait «mis à mal l’équilibre fragile des relations franco-algériennes» et se serait «affranchi du droit international.» Auparavant, Belkaïd semble désapprouver, à tout le moins s’étonner, que la décision française ait été communiquée aux autorités marocaines «par un simple courrier.»
Pourtant, avant le président français, celui des États-Unis, Donald Trump, avait annoncé sa décision le 10 décembre 2020 «par un simple tweet». À l’époque, Le Monde diplomatique n’y avait rien trouvé à redire. L’annonce du président Trump a été ultérieurement confirmée et officialisée dans une proclamation présidentielle affirmant la «reconnaissance» par les États-Unis de «la souveraineté marocaine sur l’ensemble du territoire du Sahara occidental» et réaffirmant «leur soutien à la proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc comme seule base pour une solution juste et durable du différend sur le territoire du Sahara occidental». On peut supposer que, le moment venu, la décision française sera également officialisée, sous une forme qui restera à déterminer.
Le journaliste ne semble pas avoir une haute opinion du président français, qu’il affuble du titre ressassé de «locataire» de l’Élysée. Selon lui, en effet, Emmanuel Macron, qui, «comme à son habitude» précise-t-il, «ne craint pas les contradictions», aurait violé les résolutions de l’organisation des Nations unies. Celles-ci, à en croire Akram Belkaïd, considéreraient que la décolonisation du Sahara «doit être achevée par le biais d’un référendum d’autodétermination des populations locales.»
Solution politique
Faux. Aucune résolution des Nations unies n’envisage plus un quelconque référendum au Sahara. La dernière résolution du Conseil de sécurité à avoir mentionné le «Plan de règlement» qui prévoyait un referendum remonte à 2004 (Résolution 1541). En réalité, et c’est fréquent, Belkaïd confond droit à l’autodétermination et referendum. L’Assemblée générale considère que «toutes les formules possibles d’autodétermination des territoires sont valables dès lors qu’elles correspondent aux vœux librement exprimés des peuples concernés et qu’elles sont conformes aux principes clairement définis dans ses résolutions 1514 (XV) et 1541 (XV), en date des 14 et 15 décembre 1960 respectivement». À propos du Sahara marocain, elle «appuie le processus de négociations initié par la résolution 1754 (2007) […] en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination du peuple du Sahara occidental». La France, en considérant l’autonomie comme unique base de discussion, n’a violé aucune disposition du droit international dès lors que le «référendum» n’est pas une option retenue par les Nations unies et que l’intégration à un État indépendant est reconnue par les Nations unies comme une des formes d’autodétermination (1541 (XV), Principes VI à IX).
Le plan d’autonomie marocain, il faut le rappeler encore une fois, a été présenté en réponse à un appel du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui affirme sa volonté d’aider les parties à parvenir à «une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, basée sur le compromis». La proposition marocaine ne contredit pas le processus politique que les Nations Unies veulent promouvoir et ne se pose pas en démarche parallèle ou opposée.
Algérie révulsée
A. Belkaïd écrit que «ce choix stratégique révulse l’Algérie» et que c’est un «affront» pour le président algérien. Révulsion et affront sont deux mots forts. Dans le cas d’espèce, ils sont inappropriés et excessifs, le premier étant synonyme de dégoût, le second suggérant une offense à caractère personnel. Pourquoi diantre l’Algérie serait-elle «révulsée» ? Un État doit-il être «révulsé» ou son président se sentir offensé chaque fois qu’un autre État prend une décision qui n’a pas l’heur de lui plaire ? Tout «principal soutien du polisario» qu’elle est, l’Algérie n’exerce ni tutelle ni mandat sur le Sahara atlantique occidental. Mais, dans sa croisade en faveur du polisario, Alger ne se fixe pas de limite. L’auteur rappelle, à raison, les «représailles» algériennes que l’Espagne a subies après la reconnaissance par le gouvernement espagnol de la primauté du plan d’autonomie comme solution au différend. Néanmoins, l’ire sélective d’Alger a été vaine face à la fermeté espagnole, obligeant le gouvernement algérien à ravaler sa colère.
Concernant la France, Alger a pris une mesure inédite en décidant, non pas le rappel, mais le «retrait» de son ambassadeur à Paris. Le «retrait d’ambassadeur» n’est pas répertorié dans le jargon des relations diplomatiques. C’est, en réalité, un rappel définitif de l’ambassadeur impliquant une baisse, sans doute temporaire, du niveau de la représentation diplomatique algérienne en France. C’est une décision de celles qui éblouissent le bon peuple et flattent le nif des âmes simples et c’est le maximum qui se puisse faire, en jouant sur les mots, pour ne pas avoir à rompre les relations diplomatiques. Nul doute qu’une fois passé l’orage et l’affaire tombée dans l’oubli, un nouvel ambassadeur reprendra discrètement le chemin de Paris.
Menaces intempestives
Peut-on pour autant, parler de «crise» entre Paris et Alger ? Ce n’est pas le sentiment des autorités françaises, qui ont choisi de traiter cet accès algérien de fièvre par l’indifférence, sans s’émouvoir outre mesure des menaces intempestives. Sur les dossiers bilatéraux les plus importants, les leviers d’Alger sont limités et inopérants. Autrement plus dissuasifs peuvent être les moyens de pression de la France. Quelle meilleure réponse du gouvernement français aux gesticulations algériennes que celle du ministre espagnol des affaires étrangères, José Manuel Albares, dans des circonstances analogues : «Le gouvernement espagnol n’a pris aucune décision qui affecte l’Algérie».
La décision française est-elle une bonne nouvelle pour le Maghreb ? Assurément, oui. Plus les soutiens au plan d’autonomie se multiplieront, plus ce différend qui n’a que trop duré pourra sortir de l’impasse. Plus vite la question du Sahara sera réglée, plus vite les cinq pays pourront s’atteler à recoller les morceaux et à relancer une construction mise à mal par les rêves de grandeur et les velléités hégémoniques de l’Algérie, pays promu récemment par son inénarrable président au rang de 3è puissance économique mondiale.
En affirmant «l’intangibilité de la position française sur cet enjeu de sécurité nationale pour le Royaume» et en s’engageant à «agir en cohérence avec cette position à titre national et au niveau international», le président Macron a non seulement fait droit aux revendications marocaines, mais il a opté pour le réalisme. Désormais, la France, membre permanent du Conseil de sécurité, pourra jouer pleinement son rôle de «conciliateur» dans une région qu’elle ne connaît que trop bien et aider l’Algérie à se sortir du guêpier dans lequel elle s’est fourrée. Accessoirement, Paris pourra peser de tout son poids pour calmer les ardeurs belliqueuses de ceux parmi les dirigeants algériens qui traitent le Maroc d’«ennemi classique».
Le think tank américain United States Institute for Peace ne s’y est pas trompé, qui a conclu : «la décision de la France de mettre fin à sa neutralité sur la question du Sahara reflète et renforce un consensus international croissant en faveur des revendications de souveraineté du Maroc […]. Dans un avenir pas si lointain, le conflit sur le territoire du Sahara occidental sera effectivement terminé, seule une poignée d’États continuant à plaider en faveur de l’indépendance sahraouie.»