Face à une Algérie en pleine ébullition depuis des mois, la France, liée par une relation étroite et tumultueuse avec son ancienne colonie, reste quasiment mutique mais surveille les turbulences algériennes. Dès qu’il s’agit d’Algérie, responsables, diplomates et parfois même chercheurs se transforment en statue de sel.
En raison du passé colonial, que le pouvoir algérien renvoie au visage de Paris à la moindre occasion, mais aussi et surtout à cause des enjeux colossaux de la crise algérienne en matière économique, sociale et sécuritaire, la France se mure dans un silence coupable. Deuxième partenaire économique de l’Algérie, accueillant une diaspora algérienne de plus de 700.000 personnes -sans compter les binationaux- et engagée militairement au Sahel, la France scrute anxieusement la situation chez l’ex-colonie d’Afrique du Nord, où la rue réclame depuis plus de neuf mois le démantèlement de la coalition en place et rejette l’élection présidentielle du 12 décembre.
L’équation est complexe : d’un côté, un «système» algérien réputé pour son opacité, où l’armée tient le premier rôle, et de l’autre une contestation «pacifique et maîtrisée mais qui a du mal à aboutir et dont les leaders ne sont pas identifiés». Récemment, une résolution non contraignante du Parlement européen dénonçant les arrestations arbitraires de manifestants, de journalistes ou de défenseurs des droits humains, a suscité l’ire du pouvoir à Alger, qui a dénoncé une «ingérence» et une «provocation».
Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, souhaite lui régulièrement que «les Algériens trouvent ensemble les chemins d’une transition démocratique». Début novembre, il a plaidé pour le respect de la liberté de manifester.
L’extrême prudence française sur l’Algérie hérisse Karima Dirèche, historienne franco-algérienne spécialisée dans l’histoire du Maghreb. Pour elle, l’argument du contentieux colonial est une « rhétorique nationaliste populiste dépassée, une vieille ficelle du pouvoir qui tétanise la France ».
Mais plus grave est, selon elle, l’incompréhension française, et «l’absence de lucidité» sur le séisme qui traverse la société algérienne, laquelle, après avoir obtenu pacifiquement la démission du président Abdelaziz Bouteflika en avril, n’entend pas se laisser voler son désir de changement.
«En Algérie, il y a aujourd’hui deux mondes parallèles : une élite politique qui continue à faire tourner sa boutique dans une impunité absolue, et une société qui fait son chemin, qui s’organise, qui s’exprime dans toute sa créativité, tout en restant très attachée à l’identité arabo-musulmane», affirme-t-elle. «Je trouve ça assez dramatique de passer à côté de ce rendez-vous historique. L’Algérie marche seule. Tout le monde observe, tout le monde attend», déplore l’historienne, regrettant que Paris soit si «timoré».
«On peut dire ce qu’on a à dire sans passer par les canaux officiels, faire passer des messages, la diplomatie est capable de créativité», s’étrangle-t-elle. Exemple de la frilosité de la France, l’annulation en septembre de la projection de Papicha à l’Institut français d’Alger. Ce film algérien racontant les destins de jeunes femmes lors de la décennie noire de la guerre civile (1992-2002) et du terrorisme, a été interdit de sortie en Algérie. «Diffuser Papicha aurait été un petit signal. Il serait temps de tourner la page et de faire de la diplomatie par le bas plutôt que par le haut», assène-t-elle.