Ce n’est nullement un hasard que le corps et le féminin ont toujours été liés, à tel point que toute pensée, simple soit-elle sur le corps, renvoie automatiquement au féminin. Et si les regards masculins se portent plus longuement sur le corps des femmes, c’est parce que ce corps est révélateur d’élégance, de plaisir, d’envie et de sensualité, mais aussi de grande souffrance, comme l’explique si bien la poétesse Houda Elfchtali dans son poème ‘’Femme corps’’, écrit avec une sublime pincée de créativité.
Ces regards aussi excitants que valorisants, ont parfois l’inconvénient de réduire les femmes à un corps dénué de personnalité. Ils leur donnent cette sensation d’être regardées et vues comme une chose et non comme un Être pensant.
L’impact de ces regards varie en fonction des propos et paroles qui les accompagnent. Certaines femmes laissent passer, d’autres s’y habituent et prennent goût en réinvestissant leur corps comme un compagnon de l’instant qui fait qu’il n y a pas d’émotions, pas de sensations, pas de vie sans corps féminin.
Dès les premiers vers de ‘’ Femme corps’’, on s’aperçoit que le corps est pour la poétesse, l’éveilleur suprême de l’âme. Ce corps souillé, meurtri, violé, battu, aliéné, mais aussi corps aimé, corps de toutes les transformations : de la pureté à la dégradation, de l’innocence au crime, ce corps qui s’exprime fort, et son mot peut se lire au sens propre comme au sens figuré. Ce corps qui détient une grande dimension dans l’équilibre spirituel et mental de la femme et dans son bien être. Ce corps féminin qui interroge son regardeur d’une manière frappante et qui se plait plus à être aimée que d’aimer, à sentir le regard des autres déposé sur lui.
La poétesse révèle par ailleurs, la vérité liée à sa propre expérience en tant que corps. Elle explore ses émotions sans se sentir tenu de plaire à quiconque. Elle utilise pour cela, un langage explosif, libéré, vivant, mais aussi un langage qui parcourt le corps dans sa complexité et sa réalité. Le corps devient un formidable terrain de liberté pour la femme. Une formidable force nourrie par l’intérêt que porte la société du savoir au physique des femmes et non à leurs mérites ; à leur vestimentaire et non à leurs connaissances. Femmes corps prend alors le pas sur femmes compétences.
De telles situations poussent les femmes, en fin de compte, à épouser l’idée qu’elles sont essentiellement évaluées en fonction de leurs corps. Leur potentiel mental est relégué en seconde position.
Placé sous le signe de la souffrance, le poème crie et décrit par des vers fuyants et mouvants à la fois, ce corps peiné qui refuse de subir une souffrance inutile à cause des traditions archaïques réduisant la femme à son être uniquement matériel et l’empêchant de forger une identité propre. Ce corps qui refuse aussi d’être domestiqué ou socialisé et qui n’admet pas être réduit à une chose sensuellement et esthétiquement attrayante.
S’appuyant sur un langage poétique textuellement libéré, Houda Elfchtali qui est déjà à son troisième recueil en anglais et quatrième en français, crie et écrit cette souffrance de ‘’femme-corps’’ que l’on veut utiliser comme décor. Une souffrance forte, lancinante et ponctuelle qui monopolise les pensées et les émotions de la poétesse jusqu’à en devenir un événement qui colore son rapport avec son corps d’abord, puis avec le monde qui l’entoure. Et c’est dans cette optique que Houda se sert de la poésie comme espace de résistance solide, pour dénoncer ces regards masculins ‘’criminels’’ sur la femme, dans une société emprunte de contrastes croissants, d’inégalités et de différences.
‘’Femmes corps’’ se propose-t-il aussi de mettre en cause cette passivité dans la lutte pour atténuer, ou modifier même, les épisodes sombres de ces vieilles traditions qui font perdurer les souffrances sociales féminines.