Le chef du gouvernement désigné promet et promet. C’est pour l’instant son seul pouvoir, dans l’attente d’un gouvernement qui promet et exécute.
Celui qui a fait du « vous méritez mieux » son thème de campagne s’apprête à former une majorité qui, sauf (mauvaise) surprise, s’annonce plus ramassée que les précédentes. Rassemblement national des indépendants (RNI), Parti authenticité et modernité (PAM) et Parti de l’Istiqlal (PI) devraient se répartir les ministères en jeu.
Cette alliance tripartite devrait en principe garantir un exécutif cohérent et un organigramme moins pulvérisé que par le passé. Les précédentes expériences gouvernementales s’étaient démarqué par une tendance au démembrement des pôles ministériels en ministères délégués, en secrétariats d’État, en multiples embranchements sans véritable utilité apparente.
La situation aurait duré quelques années de plus, l’organigramme étatique serait venu avec sa notice de montage: qui est qui, sous la direction de qui, ou exerçant sa responsabilité sur qui, etc. Les conseils de gouvernement confinaient à l’assemblée générale de copropriété, avec les voisins du dessus, du dessous, l’inconnu du deuxième et les locataires bruyants du quatrième. Ou plus précisément, à une sorte de parlement parallèle doté de majorité, d’opposition et d’abstentionnistes. C’était en 2017, Les bouches à nourrir étaient alors nombreuses. Autres temps, autres mœurs.
Avec 270 sièges sur 395, contre 253 pour le gouvernement El Othmani, l’alliance RNI-PAM-PI devrait bénéficier d’une majorité confortable. Composée de formations politiques peu alliables, clivée sur le plan programmatique, très composite dans l’ensemble, l’opposition ne devrait pas peser lourd, et c’est là une opportunité autant qu’un risque.
Alors que les grands traits de la future alliance gouvernementale devraient être connus dès la semaine du 20, il est de bon ton de rappeler l’une des principales attentes du public: celle du renouvellement des visages et des pratiques.
Aziz Akhannouch, contrairement à ceux qui sont venus avant lui, a peu d’excuses. Les urnes ont donné au RNI des scores qu’eux mêmes, avant leurs adversaires, n’espéraient pas. Le chef du gouvernement désigné ne s’est pas retrouvé confronté à d’insurmontables blocages pour composer ses alliances, loin de là. Dans l’histoire récente du Maroc, rares sont les chefs de gouvernement à avoir démarré avec un capital de départ aussi favorable. Toutes les cartes sont entre les mains du président du RNI. Toute la responsabilité, aussi. Dans ces conditions, l’échec n’est pas permis.
Le thème du renouvellement des élites est un psaume ancien, consommé. La capacité des partis à mener leurs plans et leurs programmes reste fortement tributaire de la qualité de leurs bassins de recrutement, et l’État ne peut combler ses besoins en compétences de gestion et d’intermédiation par la seule cooptation. Il faut des élus, et des élus de qualité.
Nouveaux chantiers et nouveaux programmes en appellent à de nouvelles compétences. Régionalisation avancée, modèle de développement, diverses réformes adoptées ou à venir: l’opérationnalisation et l’accompagnement de ces projets captera une part non négligeable du personnel d’État, et nécessitera l’émergence de nouvelles élites, notamment locales. Faute de renouvellement, les mêmes responsables passent d’un département à l’autre et d’une instance l’autre. Rappelons également que le prince héritier a atteint sa majorité. Les élites de demain, soit la relève, se préparent dès aujourd’hui. Leur temps viendra.
Parti de cadres ouvert sur son environnement, le RNI n’est pas réputé souffrir de bigoterie partisane; il n’a donc à nommer aux responsabilités « militants historiques » ou « compagnons de la première heure » s’ils ne font pas l’affaire. Il peut sélectionner les meilleures compétences, même quand elles viendraient d’un autre giron. Dans d’autres formations, patriarches des bureaux politiques, devanciers des batteurs de pavé ou le plus ancien des anciens des chabibas — les jeunesses des quarante ans passées, qui ne laissent rien à dire à la vieillesse — peuvent faire la pluie et le beau temps, et bien souvent le sale temps à la formation des gouvernements: tout pour figurer aux listes. Le RNI, comme tout parti, n’est pas exempt de reproche, et a bien sa part de luttes et de conflits internes, mais il a de meilleurs tiroirs et de bien meilleures glissières. Les ambitions contrariées peuvent rester là où elles sont, dans le petit compartiment dédié, à l’écart de l’arène publique. En conséquence, il est attendu du parti la sélection d’une équipe impeccable, les profils les plus adéquats.
Ce qui précède est valable pour le Parti de l’Istiqlal, lui qui a dirigé le dernier gouvernement d’avant-2011, pour en être chassé par la stridence des revendications du Mouvement du 20 Février. Faut-il mentionner que le cousinage et les liens matrimoniaux et familiaux entretenus par certains membres du gouvernement Abbas El Fassi avaient été ciblés par les affiches et les slogans ? L’Istiqlal étant toujours proie aux vieux démons du clanisme, il est utile de rappeler que la loi organique n°65-13 relative au statut des membres du gouvernement ne prévoit aucune disposition portant sur le regroupement familial.
Le renouvellement des pratiques, lui, passe par une réhabilitation de l’action politique. Plusieurs axes ont été dégagés au fil des ans: inclusion, renforcement des capacités des partis, renouveau des façons de faire, et d’être un politique, rupture avec les vieilles pratiques, stricte démarcation entre affaires privées et affaires publiques, etc. L’exemplarité s’institue au niveau gouvernemental; Aziz Akhannouch pourrait, s’il le souhaite, donner l’image, notamment par l’adoption d’une législation sur les conflits d’intérêts, étant donné la forte demande sociale de probité. Il devrait, de même, s’interdire — et interdire à ses ministres — le cumul des mandats, les membres du gouvernement n’ayant que faire de l’accumulation et de la monopolisation des positions électives, vu la nature, l’importance et le temps requis par leurs fonctions.
« Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », avait dit feu François Mitterrand à un de ses ministres, qui l’avait un peu trop ouverte. Nous rappelons à Aziz Akhannouch cette remontrance de Mitterrand pour qu’il insiste auprès de ses alliés sur la discipline. Une décision prise par le gouvernement doit être assumée par les ministres et leurs partis respectifs. On ne peut, aujourd’hui, être dans un gouvernement et critiquer ses actions. Ou revêtir ses plus beaux habits de responsable public durant la semaine, et ceux de l’opposant le week-end, comme le faisaient les ministres du défunt PJD.