Le mouvement pro-démocratie craint que Abdelmadjid Tebboune, éphémère Premier ministre de Bouteflika élu président de la république, ne soit qu’une marionnette entre la main des généraux, véritables détenteurs du pouvoir.
Des milliers de manifestants ont afflué vendredi dans le centre d’Alger – point de ralliement de la contestation populaire – depuis le début du mouvement algérien contre le régime en place il y a 10 mois. La différence cette fois était que la commission électorale algérienne avait annoncé plus tôt dans la journée qu’Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre du président déchu Bouteflika, avait remporté jeudi le vote présidentiel reporté deux fois.
«Les élections sont une farce et les résultats, des mensonges», a déclaré Laila Benk, une ingénieure algérienne qui a rejoint les manifestations. Ben Ali, un fonctionnaire à la retraite et un autre manifestant, a ajouté: «Ce ne sera pas la fin de la crise – c’est le début. M. Tebboune est-il même libre de prendre ses propres décisions? Il fait juste partie du gang.»
Il faisait référence aux élites soutenues par l’armée qui ont gouverné l’Algérie depuis l’indépendance de la France en 1962. En avril, l’armée a expulsé du pouvoir le président gériatrique impopulaire Abdelaziz Bouteflika après deux décennies à la tète du pays, après avoir précédemment soutenu sa décision de briguer un cinquième mandat. M. Bouteflika avait été foudroyé par un accident vasculaire cérébral en 2013 et la perspective d’une prolongation de son règne a déclenché une colère populaire qui continue de mijoter.
Ahmed Gaid Salah, chef d’état-major et dirigeant du pays de facto, a ensuite cherché à calmer les protestations en arrêtant des hommes d’affaires et des inféodés au régime pour corruption. Bien que le général Salah ait organisé les élections, il a refusé de céder aux demandes d’une réelle transformation démocratique qui transférerait le pouvoir à des civils librement élus.
Le nouveau président, 74 ans, a déjà été rejeté par les manifestants qui insistaient sur le fait qu’il n’était qu’une facade pour les généraux. Lassé d’un système autocratique soutenu par les militaires qu’ils accusent d’avoir mal géré le pays pendant des décennies, les manifestants ont juré de continuer jusqu’à ce qu’il y ait un véritable changement au sein de l’élite.
Vendredi soir, M. Tebboune a déclaré qu’il allait réformer la constitution et a proposé un « dialogue sérieux » avec les manifestants. Plus tôt, la foule a scandé: «Nous ne nous arrêterons pas !», «fi des généraux !» Et «l’indépendance de l’Algérie !». Les manifestations ont contribué à restaurer le sens de l’action citoyenne des Algériens, y compris ceux qui ont vécu la violence terrifiante des années 1990 – lorsque des extrémistes religieux ont pris les armes contre l’État après les manœuvres militaires pour empêcher une victoire islamiste.
Ils ont également offert de l’espoir à une population qui a regardé pendant plus de deux décennies leur gouvernement autocratique, allié à une élite véreuse, gâcher l’opportunité offerte par les prix élevés du pétrole. Le régime Bouteflika a injecté des milliards de dollars dans des projets qui ont profité aux caciques du régime, sans réussir à améliorer les services et à développer l’économie pour fournir des emplois indispensables à une population majoritairement jeune.
Une caractéristique du mouvement de protestation sans leader est qu’il a attiré des Algériens de tous horizons. Des familles d’âge moyen et de classe moyenne ont défilé aux côtés des étudiants et des jeunes sans emploi. Au moins 150 personnes ont été arrêtées depuis le début des manifestations et certaines ont été condamnées à des peines de prison allant jusqu’à 18 mois. Mais tant les manifestants que les autorités ont pris soin d’éviter un glissement vers la violence.
Malgré le grand nombre d’Algériens qui sortent régulièrement pour protester, il n’y a eu ni émeute ni destruction de biens. Les services de sécurité sont restés en attente en grand nombre, les hélicoptères bourdonnent au-dessus de leurs têtes et le recours à la force par la police semble calibré pour éviter la mort et les blessures graves.
Vendredi, l’ouest de l’Algérie a fait état de dispersements forcés de la police dans plusieurs villes, dont la ville portuaire d’Oran. La police, armée de matraques, a également tenté à deux reprises de disperser des manifestants dans le centre d’Alger la veille, les envoyant se précipiter dans les rues latérales. Certains manifestants craignent que les autorités se préparent à déployer des mesures plus répressives maintenant que le nouveau président est en place. «Le soulèvement populaire se poursuivra, mais je pense que les autorités vont intensifier la violence», a déclaré Rachid, un statisticien.
D’autres soutiennent qu’il sera difficile de déployer une force extrême contre des manifestants pacifiques qui représentent une partie si large de la société algérienne. «Ils peuvent réprimer des militants ou un parti politique, mais pas un peuple», a déclaré Moustapha Bouchachi, un avocat des droits de l’homme, une fois pour une fois désigné par des manifestants en tant que futur président. «Il sera difficile de justifier au monde le recours à la violence contre des personnes pacifiques».
Au milieu du tumulte de la manifestation, l’ingénieur Mme Benk a décrit comment son fils de 15 ans a été battu par des policiers après avoir participé à une manifestation étudiante. «Je n’ai pas peur pour lui», a-t-elle déclaré. «Il doit participer. La jeunesse de ce pays est depuis longtemps privée de ses richesses.»
«L’essentiel est de rester pacifique», a expliqué Djamila, médecin. «Notre force vient de notre unité.»