Rabat a décidé début mars de «suspendre tout contact» avec l’ambassade d’Allemagne au Maroc, en raison de «malentendus profonds» avec Berlin sur différents dossiers, dont la question du Sahara. Ce lundi, une notice pétrie de lourdes platitudes émise par la diplomatie allemande a été surinterprété par plusieurs de nos confrères, alors que Berlin a mené, en décembre 2020, une campagne acharnée contre la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara.
Si la diplomatie marocaine appelle l’UE à «sortir de sa zone de confort» sur le dossier du Sahara en s’inspirant de la démarche américaine, Berlin, pour le moment, se paye de mots sans constance sur ses relations avec le Maroc. Avant un an, Berlin a été la capitale européenne la plus irritée lorsque Donald Trump a adopté, en décembre, une «nouvelle carte officielle» du Maroc, reconnaissant la souveraineté du Royaume sur le Sahara. «Il faut être juste, il faut être impartial, il faut avoir à l’esprit l’intérêt légitime de toutes les parties et il faut agir dans le cadre du droit international», avait fulminé l’ambassadeur allemand à l’ONU Christoph Heusgen le 24 décembre 2020. Quelques semaines après, le drapeau du Front Polisario a été hissé devant le Parlement régional allemand de Brême.
Lundi 13 octobre, une notice publiée sur le site de la diplomatie allemande a été reprise par plusieurs médias marocains avec un empressement assez curieux. On y lit des généralités comme : «Le Royaume du Maroc est un lien important entre le Nord et le Sud», «le Maroc a lancé de vastes réformes au cours de la dernière décennie», «l’Allemagne soutient l’envoyé personnel dans sa quête d’un résultat politique juste, durable et mutuellement acceptable sur la base de la résolution 2602 (2021) du Conseil de sécurité des Nations unies», et, cette petite et timide évidence : «le Maroc a apporté une contribution importante à un tel accord en 2007 avec un plan d’autonomie.». Une fade déclaration qui ne saurait confirmer la nécessité de rétablir des rapports, sinon encore cordiaux, du moins réguliers et normaux.
Pourtant, les phrases de la diplomatie allemande, d’une rare platitude, ne peuvent en aucun cas constituer une position claire, sans ambages, en faveur du Maroc. Avant un an, le représentant allemand aux Nations unies avait demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental, et a évoqué un territoire «occupé par le Maroc» et appelé au respect du «droit international», en référence à une résolution sur la tenue d’un référendum d’autodétermination, une option irréaliste soutenue par Alger et le Polisario.
Nous serait-il réservé de voir s’ouvrir prochainement, dans les relations entre Rabat et Berlin, une nouvelle phase, qui consisterait dans un rapprochement assez étroit, sans qu’il puisse être question du rétablissement des anciennes dissentions politiques ? On pourrait le croire, mais pas pour le moment. La campagne contre le Maroc en décembre 2020 a été menée avec quelque ostentation par les diplomates allemands, le but poursuivi n’étant autre de saboter un accord historique. Parler simplement d’un rapprochement dans le domaine social et économique avec Rabat en 2021 n’est qu’un effet de langage. L’agitation bruyante contre la reconnaissance américaine a échoué, mais ses conséquences sont encore visibles. Si beaucoup craignent que le chancelier du social-démocrate Olaf Scholz marchent sur les brisées de sa prédécesseur Angela Merkel, cette nouvelle notice n’apporte rien de nouveau qui puisse éclaircir l’avenir des liens entre le Maroc et l’Allemagne.
Les faits sont plus têtus : après avoir «suspendu» la coopération bilatérale avec Berlin, début mars, le Maroc a rappelé «pour consultation» son ambassadeur, en raison d’«actes hostiles» et d’«actions attentatoires à l’égard des intérêts supérieurs du royaume du Maroc». Un communiqué du ministère des affaires étrangères a pointé trois dossiers de friction : «l’activisme antagonique» de Berlin sur le Sahara occidental, «la complicité avec un ex-condamné pour actes terroristes» et «l’acharnement continu à combattre le rôle régional du Maroc, notamment sur le dossier libyen».
Or, sur tous ces points, la réponse de Berlin se fait attendre. «La République fédérale d’Allemagne a multiplié les actes hostiles et les actions attentatoires à l’égard des intérêts supérieurs du royaume», a affirmé le communiqué publié par le ministère marocain des affaires étrangères. L’agitation antimarocaine était partie des sphères officielles allemandes, son caractère particulier consiste en ce qu’elle a été organisée à l’échelle de l’ONU.
Ce sont les «actions attentatoires» allemandes justement qui posent problème parce que, durant les dernières années d’Angela Merkel surtout, elle se sont multipliées sans cesse. Berlin a tenu en janvier 2020 une conférence internationale sur la Libye, à laquelle le Maroc n’a pas été convié, malgré son rôle élémentaire dans ce dossier. Le ministère des Affaires étrangères avait alors manifesté son «profond étonnement» : «Le Maroc a toujours été à l’avant-garde des efforts internationaux pour la résolution de la crise libyenne», avait-il rappelé. L’affaire libyenne que, ajoutait le ministère, «ne saurait transformer en instrument de promotion de ses intérêts nationaux».
L’Allemagne veut rétablir des rapports diplomatiques normaux entre elle et le Maroc en dépit d’interruptions et de contretemps fâcheux. Mais pour le moment aucune évolution n’a été accomplie pour revenir à des sentiments cordiaux. La cohésion intellectuelle, politique, morale et diplomatique est une condition nécessaire pour la réussite de toute reprise des relations entre le Maroc et l’Allemagne. Combiner la politique d’intimidation avec la douceur est sûrement le mauvais chemin à prendre.