Les éditions Gallimard publient Lettres à Anne, une correspondance riche de plus de 1200 lettres très intimes signées de l’ancien président de la République François Mitterrand à l’amour de sa vie.
La parution du livre est menée dans le plus grand secret. Un véritable plan média a été mis en place. La première étape a commencé mercredi, avec la publication de quelques lettres sur le site de L’Obs. Jérôme Garcin, qui les a toutes lues, affirme que «cette correspondance amoureuse, par sa longévité, son intensité, son exclusivité, sa clandestinité et surtout sa qualité littéraire, défie en effet la raison politique.
Voici quelques extraits:
(13 décembre 1963)
Il est près de minuit. Assis à ma table de travail je vous écris tandis que s’éteignent les dernières notes de notre «Alléluia». Souvent j’écoute ce chant. Il me parle de vous, Anne. Je pense qu’il vous ressemble, ou du moins, à une certaine Anne, la plus secrète, la plus vraie, la plus exigeante (et d’abord pour elle-même).
J’aime que cette Anne-là existe. Pour l’atteindre il faut du silence et de la force, la force de chercher et de comprendre. Ce n’est pas commode. Mais passionnant.
(Dimanche 3 mai 1964, 23h30)
J’ai posé votre photo devant moi, sur mon bureau. Non seulement je l’aime pour l’image qu’elle me donne de vous mais aussi et surtout pour le signe qu’elle portera à jamais, au terme d’une journée dont toute ma vie j’entourerai, je bénirai le souvenir. Je viens de vous quitter. J’ai allumé la lampe de mes veilles (un cheval vénitien en cuivre sert de support et l’abat-jour, couleur miel, est d’un tissu serré). Je pense à vous, si tendrement qu’il n’est pas possible qu’en cet instant votre cœur ne le sache pas. J’ai le cœur et la conscience plus libres, plus tranquilles depuis que je vous ai parlé. De moi à vous tout est dit. Je ne le regrette pas, même si cela vous effraie. Pour le temps qui vient je ne désire qu’approfondir nos raisons d’assortir notre incomparable entente de la beauté et de la grâce dont j’écoute en vous comme en l’approche.
Ne craignez pas, mon Anne, la surprise ou la faiblesse qui déplacent soudain les plus solides poteaux-frontières. Jamais je n’attenterai à votre liberté fondamentale: celle de choisir vous-même votre voie, et s’il le faut, votre amour hors de moi. Cette liberté-là vous la perdrez quand vous l’aurez décidé, librement. Mais ce ne sera que pour engager votre vie. Je n’entamerai pas votre vérité. Si vous prenez un jour le chemin qui va vers moi la mort seule m’arrachera de vous. Si vous prenez un autre chemin, mon orgueil et ma joie, au beau milieu de ma douleur, seront d’avoir préservé l’intégrité de celle que j’aime. Au moins j’aurai gagné l’attachement de ton âme, Anne chérie, qui vaut bien tous les renoncements. (…)
(3 juillet 1970)
C’est une vague de fond, mon amour, elle nous emporte, elle nous sépare, je crie, je crie, tu m’entends au travers du fracas, tu m’aimes, je suis désespérément à toi, mais déjà tu ne me vois plus, je ne sais plus où tu es, tout le malheur du monde est en moi, il faudrait mourir mais la mer fait de nous ce qu’elle veut. Oui, je suis désespéré. Le temps de reprendre souffle et pied? Ô mon amour de vie profonde j’ai pu mesurer un certain ordre des souffrances. Ce sera peut-être le seul mot tranquille de cette lettre: je t’aimerai jusqu’à la fin de moi, et si tu as raison de croire en Dieu, jusqu’à la fin des temps. (…)






