Khalid Doumou, analyste économique et financier se prête au jeu de questions-réponses pour évaluer la vision gouvernementale à travers le montage de la loi de Finances détaillée hier soir par Nadia Fettah, ministre de l’Economie et des Finances, au parlement.
Question : La loi de Finances 2024 prévoit un taux de croissance de 3,7% couplée à une inflation de 4%, dans un conteste géopolitique de plus en plus vulnérable de guerres et de perturbations des marchés et, sur le plan national, d’objectifs sociaux ambitieux et nécessaires. Sont-ce des symptômes d’une économie qui reste en souffrance et d’une vision gouvernementale étriquée ?
Réponse : La croissance, l’emploi des jeunes et l »inflation sont des thèmes majeurs pour un « frontier market », un pays émergent à revenu bas tel que le Maroc. Deux indicateurs macro-économiques sont scrutés à la loupe pour nous donner une idée assez claire de l’état de notre économie domestique et de celui de nos institutions de gouvernance. Après plusieurs crises consécutives, covid 19, guerre en Ukraine et augmentation de l’inflation importée, tremblement de terre du Haouz et derniers évènements tragiquez en Israël et à Ghaza, et le besoin de financement de l’état social (Moudawana plus équitable et couvertures sociale et médicale universelle, réduction des inégalités sociales et territoriales en améliorant l’indice de Gini) et de l’organisation d’évènements sportifs à portées continentale et planétaire (CAN en 2025) et (Coupe du monde 2030) sur notre sol, nous pouvons compter sur une nouvelle politique de grands travaux sur notre territoire national, laquelle est susceptible de booster l’économie de l’offre au Maroc, si elle est accompagnée par une politique de développement durable elle-même éminemment inflationniste [uranium, dessalement de l’eau,éolien, solaire, mobilité électrique, indutries extractives ].
Un indicateur seyant à déterminer la bonne santé d’une économie dans son ensemble est le taux de croissance réel de l’économie qui intègre l’inflation globale dans le taux de croissance d’une économie. En 2024, ce taux est attendu en territoire négatif, aux alentours de -30 points de base [3,7%-4%]. Est-ce alarmant pour autant? Rien nest moins sûr. L’indice de bonne gouvernance du Maroc (Nouveaux métiers du Maroc et maquiladoras) classe celui-ci au quatrième rang continental derrière l’île Maurice (île des services financiers) , le Rwanda (puissance agricole exportatrice) et le Botswana (deuxième producteur de diamant au monde).
Ce panorama permet de considérer le développement du nouveau continent par la lorgnette de différents secteurs d’activité en essor croissant. Le Maroc est classé 75e mondial au digital quality of life index, ce qui me suggère qu’il existe un véritable gisement de croissance sur ce segment d’activité sous-exploité. L’Indice de perception de la corruption place le Maroc au 94e rang mondial sur 180 pays en 2022. Là réside un autre fléau que nous devons combattre avec plus de vigueur et de force.
Ensuite les plus frileux d’entre nous s’effraient d’un taux d’endettement (avoisinant les 80% du PIB) trop important de notre pays meme si 70% de cet endettement est libellé en dirhams. Quand on envisage parallèlement les deux agrégats que sont la croissance annuelle du PIB et l’inflation, il faut garder à l’esprit que ces deux indicateurs ne sont pas irrémédiablement antinomiques, mais qu’ils doivent être appréhendés au travers de la notion de ratio de sacrifice, qui mesure le rapport entre ce que l’on donne et ce que l’on obtient en retour.
Q : Que révèle le montage à travers les orientations du PLF sur le type de gouvernance de l’équipe Akhannouch ?
R : Si la politique sociale du gouvernement est bien menée grâce à de la péréquation interrégionale, des aides ciblées vers les plus démunis, la réindexation de l’IR, des prix de produits de première nécessité stratégiques plafonnés, de la compensation bien étudiée, la lutte contre les situations de rente et une approche genre mieux pensée dans le cadre d’une moudawana plus adaptée aux besoins de notre temps, alors l’inflation à 2% pourra passer à 3 ou 4% pourra persister sans éroder trop profondément le pouvoir d’achat des ménages de la classe moyenne, grands épargnants devant l’éternel en période de boom économique.
Ce qu’il faut retenir, c’est que le Maroc est en passe de vivre une assez longue période expansionniste, et que l’assouplissement quantitatif de ses crédits à l’économie doit rester mesuré pour ne pas créer des bulles spéculatives toujours appelées à éclater.
Gageons que la politique monétaire orthodoxe de Bank el Maghrib nous évitera le risque de surchauffe de notre économie tout en nous ouvrant la fenêtre d’opportunité de réaliser des investissements judicieux porteurs de nouveaux emplois pour une jeunesse travailleuse, ambitieuse, intelligente et dynamique.