Les autorités ont lancé une offensive contre ces groupes après une multiplication d’altercations.
Deux jeunes tués à coups de machette et un blessé grave à Madrid le week-end dernier : la multiplication des altercations entre «gangs latinos» rivaux a déclenché une offensive des autorités dans la capitale espagnole.
La police a annoncé jeudi 10 février l’arrestation de onze personnes soupçonnées d’appartenir au «Dominican Don’t Play», un groupe rival des «Trinitarios». Ces deux gangs d’origine dominicaine sont nés dans les années 1980 à New York, et ont essaimé dans les rues des quartiers populaires du sud de la capitale espagnole, où vit une importante communauté latino-américaine. Parmi les personnes interpellées, trois sont soupçonnées d’être impliquées dans le meurtre dans la nuit de samedi à dimanche d’un jeune de 25 ans d’origine colombienne «appartenant au gang des Trinitarios», a détaillé la police dans un communiqué. La même nuit, un adolescent de 15 ans a été tué devant une discothèque du centre de Madrid tandis qu’un autre de 17 ans était poignardé à plusieurs reprises dans le nord de la ville et se trouve dans un état grave.
Recrutement dans les collèges et lycées
Afin de «repérer et d’identifier les membres» de ces gangs et d’éviter des vengeances, la préfecture de Madrid a déployé plus de 500 policiers. «Tout cela remonte à quatre ou cinq ans, à des affrontements qui n’ont jamais cessé» entre ces groupes rivaux, analyse, dans un entretien à l’AFP, Carles Feixa, anthropologue à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone. Jusqu’à présent, la réponse des autorités n’a été que policière et il n’y a pas eu de tentative de «médiation, de résolution du conflit, qui s’est aggravé», ajoute le chercheur, en charge d’un programme de recherche sur les gangs appelé «Transgang» et auteur d’un livre sur César Andrade, alias King Manaba, membre important des «Latin Kings», né en Équateur («El rey. Diario de un Latin King»).
«Nous avons un problème avec les gangs», a reconnu Enrique Lopez, en charge de la sécurité au sein du gouvernement régional madrilène, lors d’un entretien sur la chaîne locale Telemadrid. À Madrid, 2500 jeunes sont considérés comme appartenant à ces groupes, dont un cinquième a moins de 13 ans, selon un rapport publié en 2021 par l’«Observatoire des gangs latinos» du Centre de secours chrétien, une institution évangéliste. Les discothèques ayant fermé pendant la pandémie, le «recrutement» a eu lieu dans les collèges et les lycées, estime ce rapport qui chiffre à près de dix millions d’euros le montant des «frais d’adhésion» versés par les membres de ces gangs. Les «Ñetas», les «Latin Kings», les «Trinitarios» et les DDP sont les groupes les plus importants à Madrid, où sont également implantés les «Blood», les «Forty Two», la «Mara Salvatrucha» ou encore la «18».
«Aussi espagnols que vous et moi»
À Madrid, ces «gangs», qui font plutôt penser aux rues de New York, de Chicago ou de Los Angeles, sont formés en grande partie de jeunes d’origine latino-américaine nés en Espagne. «Les gangs latinos sont composés d’immigrés de seconde génération, aussi espagnols (…) que vous et moi», a lancé jeudi 10 février la présidente de droite de la région de Madrid, Isabel Diaz Ayuso, interpellée par une responsable du parti d’extrême droite Vox qui affirmait que «l’immigration illégale semait la terreur» dans les quartiers de la ville. «Au-delà des Dominicains, il y a des membres d’autres nationalités latino-américaines et des jeunes Espagnols issus des quartiers populaires», dit pour sa part Carles Feixa.
«Plus que leur origine ou leur nationalité, ce qui les caractérise est l’exclusion sociale dont ils souffrent à la fin de la scolarité obligatoire», à 16 ans, car «quand on n’a pas d’alternative, la rue, le groupe et la petite économie illégale» vous tendent les bras, poursuit le chercheur, soulignant l’importance de la crise de 2008 comme de celle provoquée par la pandémie. Si certains vendent un peu de drogue, il n’y a pas pour le moment de lien avéré avec les gros narcotrafiquants, ce qui représenterait un risque énorme, avertit le chercheur car ces gangs constituent «le bataillon idéal pour n’importe quel criminel» d’envergure.