La mort atroce d’un vendeur de poissons qui tentait de s’opposer à la destruction par la police de sa marchandise dans la ville côtière d’Al-Hoceima, au nord du Maroc, suscite depuis vendredi soir une vague de manifestations. Une enquête, ordonnée par le roi, a donné lieu hier à une dizaine d’arrestations. Mais le politologue Jean-Noël Ferrié, spécialiste du monde arabe, ne croit pas à une amplification de la contestation.
Comment expliquez-vous la colère qui s’est emparée d’une partie du Maroc depuis la mort de Mouhcine Fikri ?
JEAN-NOËL FERRIÉ. Cet émoi est réel, mais il n’a saisi qu’une partie de la population. Le pays n’est pas dans la rue. A Rabat (NDLR : la capitale), par exemple, il n’y a aucune agitation particulière. Les mobilisations ont lieu dans des quartiers qui sont habituellement sujets aux manifestations. Ce qui s’est passé est atroce, et 80 % de la mobilisation vient du caractère choquant de la mort de cet homme. Il me semblerait imprudent de considérer que le pays est dans un état de précrise, semblable à ce qu’a connu la Tunisie en 2011. Il n’y a aucun parallèle possible avec les Printemps arabes.
Quelle est la différence avec la contestation de 2011 en Tunisie ?
En Tunisie, nous assistions à la fin du règne d’un dictateur (NDLR : Zine El-Abidine Ben Ali), largement délégitimé. Le Maroc est dans une situation tout autre. Une nouvelle Constitution a été mise en place en 2011, qui permet un bon fonctionnement de la démocratie. La légitimité du pouvoir n’est pas remise en cause. Il peut y avoir parfois un certain énervement sur certaines pratiques problématiques de l’administration ou de la police. Mais elles se sont largement améliorées depuis la fin du règne d’Hassan II (NDLR : ancien monarque et père du roi Mohammed VI).
Ce marchand de poissons est-il un emblème pour ces milliers de Marocains dans la rue ?
Pour les gens qui protestent, cet homme est le symbole d’une manière indigne de traiter les plus humbles. Ce genre de drame ne passe plus dans l’opinion. Cette réaction de milliers de Marocains est plutôt un témoin du bon état de la société. Dans les années 1960, elle aurait été impossible.
Jean-Noël Ferrié, spécialiste du monde arabe