Aucune économie n’a décollé sur le long terme sans intégration économique continentale et commerce intracontinental. Un postulat qui converge avec la vision du roi Mohammed VI pour le Maroc et pour l’Afrique de manière générale. Dès le début de son règne, le roi Mohammed VI a œuvré pour faire du royaume le hub de l’Afrique. Son approche vise aussi, de concert avec les dirigeants africains, à transformer l’Afrique en tant que fournisseur de matières premières pour le reste du monde en un continent qui utilise activement ses propres ressources pour assurer le développement économique des Africains.
Des nombreux accords signés lors de multiples visites du roi Mohammed VI dans la trentaine de pays qu’il a effectuées depuis son intronisation en attestent par l’effet catalyseur qu’elles ont eu, autour de sa vision sur la coopération Sud-Sud.
Parler des accords Maroc-Afrique inclut en plus des accords commerciaux, tous les accords économiques, politiques et la coopération en matière de culture, de religion et de lutte contre le terrorisme et crime organisé qui se matérialisent en projets concrets.
Quel est leur état d’avancement ? La question, aujourd’hui, reste quasi-entière.
En matière d’échanges commerciaux, les chiffres officiels de l’Office des changes renseignent sur les flux et les investissements avec le Maroc de manière globale ainsi que par pays (voir tableaux infra)*. De 2017 à 2021, les exportations marocaines vers les pays d’Afrique ont augmenté de 18,25%. Les importations pour la même période ont évolué de 30, 85%. Les recettes des IDE au Maroc ont baissé de 18,32% (taux provisoire, cf le tableau correspondant établissant les chiffres de 2021 comme provisoires). Quant aux Investissements directs marocains à l’étranger, ils ont enregistré une diminution de 8,42%. Notons tout de même que les chiffres provisoires de l’Office des Changes (OC) relatifs aux exportations des deux premiers mois de 2022 montrent toutefois une tendance haussière à confirmer en 2023.
Un article récent de Oxford Business Group (source d’intelligence économique reconnue mondialement), « Morocco’s new trade deal promotes trade in Africa » [Le nouvel accord commercial du Maroc favorise le commerce en Afrique] qui vient compléter une étude documentée sur le royaume datant de 2020 révèle que dans le cas du Maroc, les importations et les exportations africaines ne représentent que 3% et 5%, respectivement, de leur total. Notons qu’actuellement, au plan continental, les niveaux de commerce intra-régional sont nettement inférieurs à ceux d’autres régions du monde. Les exportations intra-africaines ne représentaient que 16,6% en 2017, contre 68% en Europe, en Asie (59%) et dans les Amériques (55%), selon les dernières données comparatives en la matière de la CNUCED.
Le même article d’Oxford Business Group soutient même que la signature en 2018 par le Maroc de l’AfCTA, accord qui consacre la plus grande zone de libre-échange au monde initiée par l’Afrique pour l’Afrique, facilite et encourage le commerce dans le continent. Il en est ainsi, toutes proportions gardées, des pays qui sont des portes d’entrée pour les investisseurs vu leur situation géographique stratégique, leurs ressources et/ou leurs capacités en matière d’infrastructures (en cours ou acquises) comme l’Egypte, le Nigéria, l’Ethiopie, Djibouti et le Kenya. Soulignons que la croissance du PIB par habitant en moyenne de 1,7 % au Maroc au cours des cinq dernières années est supérieure aux moyennes régionales. En matière de potentiel d’exportation aux échanges réels, il pourrait faire davantage.
Il n’en reste pas moins que le facteur de facilitation essentiel à cet effet comme pour l’AfCTA, une fois tous les protocoles ratifiés, restera l’infrastructure, afin que les biens et les services puissent accéder aux marchés. Il est souvent plus facile, en termes de disponibilité et de coût des voies aériennes, de voler entre l’Afrique et l’Europe, note l’étude d’OBG, qu’entre deux endroits du continent même pour acquérir des produits africains traités ou conditionnés dans le vieux continent.
A titre illustratif, la Banque africaine de développement (BAD) estime que des investissements annuels en infrastructures de 130 à 170 milliards de dollars sont nécessaires sur le continent et souligne qu’il existe actuellement un déficit de financement annuel de 68 à 108 milliards de dollars. Néanmoins, ces dernières années les investissements internationaux, en particulier ceux de la Chine, ont pallié cette défaillance. Entre 2005 et 2019, les investissements et les contrats du pays en Afrique subsaharienne ont totalisé plus de 300 milliards de dollars, la part du lion de ces capitaux allant à des projets de construction et d’infrastructure pour un développement généralisé des routes, des ports, des chemins de fer et des zones économiques spéciales.
Concernant le Maroc, l’évolution moyenne à faible des différents taux des importations, exportations et investissements en Afrique, sur la base des données de l’OC peut être partiellement expliquée par le repli et la crise économique engendrée par la pandémie du coronavirus qui perdure et que continuera d’impacter la guerre Russie-Ukraine au niveau des chaines de distribution, logistiques et disponibilité des matières premières.
En dehors d’importer ce qui lui est nécessaire (notamment les denrées de base : blé, produits oléagineux sucres et des matières premières soit principalement, les hydrocarbures) que peut exporter le Maroc dont l’Afrique a besoin ? Des denrées alimentaires, certes, puisque le Maroc a développé un modèle agro-exportateur (dépendant des ressources hydriques et de la pluviométrie) et qui font déjà l’objet d’accords de libre-échange notamment avec l’UE, la Turquie et les USA, d’autres biens et services qu’il produit ainsi que montrés dans les tableaux ci-dessous.
En l’absence de données sur la mise en œuvre des accords signés lors de la tournée royale en Afrique, scrutons ce qu’a à offrir le Maroc à l’Afrique en termes de biens et services ainsi que l’évolution de son économie.
L’atlas de la complexité économique du Growth Lab de Harvard reconnu internationalement pour comprendre la structure économique d’un pays, dans sa dernière étude qui englobe la période 2009-2019 (soit avant Covid), relève que l’économie marocaine est devenue moins complexe, perdant 7 places dans le classement de l’indice de complexité économique (ICE), se classant au 89e rang des pays les plus complexes sur les 133 étudiées. Cela signifie que le Maroc n’a pas su réaffecter l’activité économique des secteurs à faible productivité vers les secteurs à forte productivité, malgré sa diversification vers 20 nouveaux produits depuis 2004, sa part du marché mondial dans certains produits comme l’électronique, ou les services, ayant stagné. Et ce, d’autant que les exportations de biens les plus importantes du Maroc concernent des produits à faible et moyenne complexité, à savoir l’agriculture et le textile, respectivement.
Le Maroc peut, néanmoins, y pallier en diversifiant sa production et en utilisant son savoir-faire existant. Sur cette base de diversification, les projections de croissance pour le Maroc jusqu’en 2029 par le Growth Lab prévoient pour le pays, une croissance annuelle de 4,0 % (ce qui le placera dans la moitié supérieure des pays du monde). Ce qui permettrait également une présence continentale à la mesure de la vision royale.
Comparé aux autres pays d’Afrique du Nord, le Maroc se positionne davantage comme l’un des principaux exportateurs de biens en Afrique. Il a aussi augmenté ses investissements dans les pays d’Afrique subsaharienne. La résolution des questions de sécurité et des conflits régionaux reste également importante, car l’intégration commerciale et le développement économique nécessitent la paix et la stabilité. Côté marocain, en matière de stabilité et de sécurité le défi est relevé, restent les autres facteurs économiques dont nous n’avons qu’une vue globale et qui mériteraient d’être étudiés au cas par cas.
Cette question en appelle une autre. Quelle communication est faite autour des accords de 2016 et des projets qui en découlent ? Elle reste générale. Cependant, le projet révolutionnaire et transformateur des marchés concernés dont la presse nationale et internationale se fait largement écho de manière continue est le gazoduc Nigéria-Maroc qui longe le Golfe de Guinée. Il bénéficiera en termes de développement à tous les pays qui le longent. Sécuriser les voies maritimes et terrestres dans cette zone soumise à la piraterie et phalanges terroristes (Boko Haram, EI, Al Qaeda) est un défi qui sera relevé par le fait du leadership mondial du Maroc en la matière.
En effet, la disponibilité d’infrastructures routières, portuaires, maritimes notamment, comme la sécurité dans des zones fragilisées par une faible gouvernance en Afrique ou par les phalanges terroristes spécialement salafi-jihadiste est l’un des postulats cruciaux de la coopération intracontinentale comme celle des échanges commerciaux entre pays africains ainsi que des investissements internationaux dans le continent.
Le Maroc exporte d’ores et déjà vers les pays demandeurs son expertise en matière de sécurité et en matière de formation à l’islam sunnite à travers la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains et le programme Moussalaha de réconciliation mis à disposition d’anciens salafi-jihadistes. Ce sont là des volets intrinsèques de l’approche multidimensionnelle et intégrée dans la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme (souvent lié au grand banditisme et crime organisé) voulue par le roi Mohammed VI, tout comme le sont les développements humain et économique, ainsi que l’avait évoqué en avril dernier M. Habboub Cherkaoui, directeur du BCIJ. pour Barlamane.com dans une série de quatre entretiens.
Si dans certains domaines essentiels pour être attractifs en termes d’investissements tels que la stabilité, le Maroc ne cesse de confirmer son leadership, son modèle économique exportateur (industrie automobile et agricole notamment) stagne et ne semble pas suivre, de ce fait, la dynamique impulsée dès le début du règne du roi Mohammed VI et réaffirmée en termes d’intégration continentale en 2016, tournée vers l’Afrique.
La question concernant les autres types d’accords non commerciaux, en dehors des coopérations religieuse et sécuritaire, reste ouverte.