Une chercheuse à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP), basé à Berlin a exhorté l’Union européenne à «relativiser les ambitions hégémoniques du Maroc» tout en favorisant la coopération avec le reste des pays du Maghreb. Une étude controversée qui a suscité beaucoup d’encre.
L’allusion a été fine. Lors d’une allocution télévisée le 20 août 2021, le roi Mohammed VI a dénoncé «une agression délibérée» perpétrée par les «ennemis» de l’intégrité territoriale du royaume ne voulaient pas que le Maroc reste une puissance libre, forte et influente. Pour démontrer les activités de ces ennemis – «principalement des pays européens» – il s’est référé à des «rapports» non spécifiés qui «dépassaient les limites de ce qui est acceptable», lesquels «ont plaidé pour que le développement du pays soit limité.»
Début août, un think-tank allemand lié au Parlement a appelé à refreiner les «ambitions hégémoniques» du Maroc et à développer des relations fortes avec l’Algérie et la Tunisie. L’étude elle-même traite de la politique africaine réussie du Maroc. Cette politique, selon l’analyse d’Isabelle Werenfels, «a fait du royaume un État influent en Afrique – contrairement aux deux pays voisins, l’Algérie et la Tunisie, qui n’ont eu au mieux que des succès modestes, à la fois politiquement et économiquement», selon DW qui a interviewé la spécialiste.
Il y a un mot que les commentateurs mettent désormais au centre de leur critique : «Hégémonie». «Ils ont lu la phrase comme si je plaidais pour que le Maroc soit ralenti», a déclaré Werenfels à DW. «Plus tard, je dis très clairement qu’il s’agit de maintenir un certain équilibre entre la politique marocaine, algérienne et tunisienne, c’est-à-dire de ne pas monter les Etats les uns contre les autres – mais au contraire, de promouvoir des approches constructives en général», a dit le politologue.
«Au vu des capacités disponibles dans le pays et des énormes progrès que le Maroc a accomplis dans sa politique africaine, il est également clair que le royaume est moins dépendant de l’expertise technique de l’Allemagne que la Tunisie ou l’Algérie» a-t-elle surenchéri.
Reprise des relations avec le Maroc ? «Autant que je sache, l’Allemagne n’a cessé d’envoyer des signaux indiquant qu’elle souhaitait revenir à des relations normales, car on peut noter que le ministère fédéral de la Coopération économique et du développement (BMZ) a promis un financement estimé à 1,4 milliard d’euros au Maroc. Le Maroc pourrait également bénéficier grandement de l’appui de l’alliance hydrogène germano-marocaine. Tout cela est désormais en suspens en raison de la crise entre les deux pays.»
Exploitation de l’Afrique ? «Des accusations de ce genre sont absurdes en ce qui concerne les grands investisseurs en Afrique tels que la Chine et les États-Unis – et de plus en plus également la Turquie et les États du Golfe – dit Werenfels. Seule la France pourrait considérer le Royaume du Maroc comme un concurrent en Afrique de l’Ouest. L’UE dans son ensemble a des ambitions beaucoup plus prudentes. Et j’ai également écrit que l’Europe fait trop peu pour promouvoir l’intégration économique au sein de l’Afrique» a-t-elle déclaré.
Un biais algérien ? Werenfels «a pu se rendre personnellement vulnérable dans la mesure où elle a exprimé un parti-pris pour l’Algérie sur son profil Twitter», dit DW. «C’est fondé sur le fait que j’ai fait mon doctorat sur l’Algérie. Rétrospectivement, bien sûr, cet aveu s’avère être une erreur – même si j’ai critiqué à plusieurs reprises la politique algérienne dans d’innombrables tweets.»