Face à la propagation du variant Omicron, le Maroc a justifié sa décision de rapatrier ses ressortissants via le Portugal en pointant «l’absence de respect des protocoles sanitaires» en Espagne. Une annonce qui vient clore une année extrêmement éprouvante pour les relations bilatérales Maroc-Espagne. À l’heure où nous sommes parvenus, Madrid est moins un théâtre d’action diplomatique un peu vive qu’un poste d’observation, qui scrute la multiplication des dossiers de friction.
Fin mai, le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita a mis en garde l’Espagne contre le «pourrissement» des relations entre Madrid et Rabat. Le mot a été prononcé, tant le Maroc peine à s’entendre avec un gouvernement si peu fidèle à ses engagements. Pour la première fois depuis de longues années, la politique extérieure espagnole a été peu regardantes à l’égard des intérêts du Maroc, tandis que ce dernier par d’habiles égards, par de sincères démonstrations, voulait rendre de plus en plus faciles les rapports entre les deux gouvernements, sans grand succès.
Le choix délibéré du Maroc de rapatrier une partie de ses ressortissants bloqués en Europe à cause de la Covid-19 via le Portugal plutôt que par l’Espagne a déclenché, mardi 21 décembre, une nouvelle tension diplomatique entre Rabat et Madrid. Le 13 décembre, le gouvernement marocain avait autorisé «à titre exceptionnel» les Marocains établis à l’étranger à retourner dans leur pays à partir du Portugal, de la Turquie et des Émirats arabes unis, une opération qui doit prendre fin demain, le 23 décembre. Le 20 décembre, le ministère de la santé a indiqué avoir décidé d’organiser des vols de rapatriement à partir du Portugal – et non de l’Espagne – en raison de «l’absence de respect des protocoles sanitaires» par les autorités espagnoles
«Cette décision s’explique par l’absence de garanties tangibles concernant le respect des mesures déjà prises, dont le contrôle du passe vaccinal et de l’état de santé des passagers, selon une approche ferme, appropriée et en conformité avec les recommandations et règles internationalement reconnues», a expliqué le ministère marocain. «Les autorités espagnoles compétentes sont loin d’assurer une action rigoureuse de contrôle de l’état de santé des passagers lors de l’embarquement aux aéroports», a-t-il accusé, estimant que cette situation représente «un danger pour la santé des citoyens marocains». Selon le ministère, de nombreux cas d’infection au Covid-19 ont été détectés chez des personnes en provenance de l’Espagne via des vols privés, soit à leur arrivée, soit lors d’un transit.
Selon le média en ligne espagnol El Confidencial, Madrid a réagi en convoquant mardi le chargé d’affaires marocain, Farid Aoulouhaj. Lors d’une conférence de presse mardi, le chef de la diplomatie a remis en cause la déclaration marocaine. «Le communiqué public n’est pas acceptable du point de vue de l’Espagne, car il ne correspond à aucune réalité, a réagi José Manuel Albares. L’Espagne remplit tous les critères internationaux en matière de lutte contre la Covid, le gouvernement y travaille sans relâche.» «Ce n’est pas acceptable et ça n’est fondé sur aucune réalité objective. C’est ce que je ferai savoir au Maroc», a poursuivi M. Albares.
Le ministre a précisé qu’il n’avait pas été averti du communiqué marocain avant sa publication et a assuré que l’Espagne travaille «avec toute sa bonne volonté» à entretenir «les meilleures relations avec le Maroc».
Scandale Brahim Ghali, Sahara, opération Marhaba
Le conflit avec l’Espagne est directement lié aux ambiguïtés de Madrid sur la question du Sahara. Le 25 avril, Rabat a fait connaître à Madrid son «exaspération» à la suite de l’hospitalisation dans un établissement près de Saragosse, une semaine plus tôt, de Brahim Ghali, le secrétaire général du Front Polisario. Rabat affirme que Ghali a voyagé de façon «frauduleuse» en Espagne, «avec un passeport falsifié». Les autorités marocaines ont réclamé une enquête «transparente» et «la prise en compte des plaintes déposées contre lui» pour «tortures», «violations de droits humains» ou «disparition forcée». «C’est un test pour le partenariat stratégique» liant les deux pays notamment en termes de lutte contre la migration clandestine, a mis en garde Nasser Bourita. Pourtant, Ghali a pu partir après la décision d’un juge espagnol – qui l’a entendu sommairement dans le cadre de deux plaintes le visant, de ne prendre aucune mesure coercitive à son encontre, alors que les plaignants réclamaient la confiscation du passeport de M. Ghali et sa détention provisoire.
Cette affaire est un scandale retentissant d’autant plus que l’aviation civile espagnole, avait souligné qu’un avion «civil» appartenant à l’«Etat» algérien, provenant d’Alger et avec Logroño (nord) pour destination, était entré mardi dans l’espace aérien espagnol et avait fait demi-tour sur «ordre des contrôleurs aériens militaires», quelques heures avant la fuite de Brahim Ghali. La complicité du gouvernement espagnol est d’autant plus cruelle puisque Ghali a été visé par deux plaintes en Espagne. La plus récente, pour «arrestation illégale, tortures et crimes contre l’humanité», a été déposée en 2020 par Fadel Breika, dissident du Front Polisario naturalisé espagnol, qui affirme avoir été torturé dans les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, en Algérie. L’autre avait été déposée en 2007 par l’Association sahraouie pour la défense des droits de l’homme (Asadedh) pour «génocide», «assassinat», « terrorisme », «tortures» ou «disparitions», commis là encore dans les camps de Tindouf.
Le transit estival des expatriés évite l’Espagne
Le Maroc a lancé en début d’été le grand plan annuel de transit estival de sa diaspora, avec un dispositif excluant toute liaison maritime via l’Espagne, assorti de rabais sur les liaisons aériennes afin d’amortir la différence de coût pour les voyageurs. L’édition 2021 de cette opération, «un des plus grands mouvements de personnes sur le continent européen», exclut tous les ports espagnols, dont Algésiras situé à moins d’une heure de traversée de Tanger. Les seules liaisons maritimes prévues partent de France (Sète, Marseille), d’Italie (Gènes) ou du Portugal (Portimão), avec un total de 650 000 passagers et 180 000 véhicules.
Le roi Mohamed VI a ordonné même aux acteurs locaux du transport aérien et maritime de «pratiquer des prix raisonnables». La compagnie nationale aérienne Royal Air Maroc (RAM) a publié dans la foulée des tarifs à la baisse sur toutes ses destinations pour les 2,5 millions de sièges proposés cet été. L’exclusion de l’Espagne du dispositif a occasionné des pertes de l’ordre de 450 et 500 millions d’euros, uniquement pour les compagnies de ferry assurant la traversée et a affecté plusieurs milliers d’emplois, notamment saisonniers, dans la région du port d’Algésiras.
Résolution européenne téléguidée
Le 11 juin, le Parlement marocain a dénoncé une résolution du Parlement européen mettant en cause le Maroc après un récent afflux migratoire dans la ville occupée de Sebta.
Le bureau du Parlement marocain a «dénoncé le contenu de cette résolution contenant de nombreuses contrevérités» et a «réitéré le statut juridique» de Sebta, qu’il a qualifié de «ville marocaine occupée», selon une déclaration après une réunion d’urgence à Rabat, reprise dans un communiqué. La résolution adoptée par le Parlement européen n’avait pas de caractère contraignant pour le Maroc. Pour le ministère marocain des Affaires étrangères, cette résolution «ne change rien à la nature politique de la crise bilatérale entre le Maroc et l’Espagne». «Le problème demeure avec l’Espagne, tant que les raisons de son déclenchement n’ont pas été résolues», a-t-il ajouté dans un communiqué.
Le cas de Sultana Khaya
Le cas de Sultana et Luara Khaya, séparatistes extrémistes membres de la soi-disant l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine (Isacom), une organisation fondée en 2020 interpelle. Madrid est accusé de fermer l’œil sur les agissements de Sultana Khaya qui a pu acquérir un appartement cossu au sud de l’Espagne avec la complicité des renseignements algériens.
Errement espagnol
Selon la presse espagnole, l’entraînement a précédé la résolution réfléchie, et les impulsions du penchant personnel ont été plus grandes encore, sinon plus déterminantes que les considérations de la politique, dans les relations avec le Maroc. Pedro Sánchez est accusé de n’écouter que les intrépides détracteurs du Maroc, obstinés ennemis du royaume qui donnent carrière à leur antipathie.
Le Maroc est conscient que le retour à de meilleures relations avec Madrid ne doit être acheté, de sa part, par aucune faiblesse, par aucun abandon de ses droits ou de ses intérêts, par la moindre concession de principes, par aucune déviation, si légère qu’elle fût, de la ligne de conduite que l’honneur national lui commande de tenir. Le gouvernement de Pedro Sánchez devra renouer avec l’Espagne, à cette Espagne modérée et maîtresse d’elle-même, qui, au sortir d’un si grand bouleversement saura peut-être raffermir patiemment au dedans tout ce qu’elle avait involontairement ébranlé, et rassurer peu à peu au dehors son plus grand partenaire qu’elle avait d’abord épouvanté par ses mécomptes.
Le roi Mohammed VI a dit souhaiter «fonder des relations solides, constructives et équilibrées, notamment avec les pays voisins», en citant l’Espagne, mais aussi la France. Dès le lendemain, le président du gouvernement espagnol s’est empressé de remercier «le roi du Maroc pour ses paroles» et rappeler à quel point le royaume chérifien est «un allié stratégique». Mais la conduite de certains responsables espagnols reste peu digne d’un grand État civilisé. Sa subordination constante envers l’Algérie est contraire aux traditions démocratiques, tenues en échec par l’esprit d’anarchie et sourdement minées. Le gouvernement espagnol entretenait des illusions sur la solidité du navire des relations bilatérales, jadis si puissant, qui portait naguère encore les débris d’une entente impérissable. L’exécutif socialiste a mené le bâtiment se briser sur les écueils. En 2022, Madrid est appelé à clarifier sa position sur trois dossiers essentiels : la souveraineté marocaine au Sahara, le nouveau modèle aux frontières avec Sebta et Melilla, et les lois établissant la compétence juridique du Maroc sur les eaux allant jusqu’à Lagouira. Les nationalistes de la Coalition Canaries qui ont exigé du gouvernement espagnol qu’il se plaigne auprès des Nations unies n’ont aucun droit le réclamer cela, puisque le Maroc est en droit de revendiquer un plateau continental allant de 200 à 350 milles marins. La politique est une affaire de conduite qui ne supporte pas l’absolu.