Après l’opération «mains propres», en marge de laquelle de nombreuses personnalités politiques des principaux partis au pouvoir ou de l’opposition sont tombées sous le coup des enquêtes des magistrats, le Parlement marocain s’apprête à examiner des textes sensibles pour sa rentrée. Soupçonnée d’être devenue vassal obéissant d’un exécutif envahissant et surpuissant, l’institution parlementaire peut-elle remettre le débat politique au cœur de sa logique institutionnelle ?
L’ouverture de la première session parlementaire fixée au deuxième vendredi d’octobre «s’annonce particulièrement dense», écrit le magazine panafricain Jeune Afrique dans sa dernière livraison. L’un des points culminants de cette rentrée sera sans doute le projet de loi de finances 2025, déjà balisé par une note d’orientation gouvernementale. Le chef de l’exécutif Aziz Akhannouch et les différents ministères concernés, sous le feu des critiques, devront faire face à d’importants défis : soutenir l’État social, poursuivre les réformes structurelles et renforcer l’assainissement des finances publiques. «À ces enjeux s’ajoutent les effets persistants de la sécheresse et les défis économiques auxquels le pays doit faire face», estime la publication dans son dossier.
Vers une modernisation bien réfléchie
Parmi les projets législatifs cités par la même source, figure en bonne place la révision du code de procédure civile, présentée comme une réforme incontournable. Pourtant, ce chantier est vivement critiqué, notamment par les huissiers et certains membres de la société civile, qui dénoncent une «régression en matière de droits» selon la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF). Cette organisation déplore un recul des droits des femmes et appelle à une révision plus efficace et plus rapide du texte.
En parallèle, d’autres réformes, comme celle de l’éducation, portée par le ministre Chakib Benmoussa, suscitent de vives tensions. L’année scolaire 2024-2025 s’est ouverte dans un climat marqué par des protestations d’étudiants en médecine, aggravées par le retard de la mise en œuvre des recommandations issues du Nouveau modèle de développement (NMD).
Un chantier législatif en constante évolution
Le gouvernement marocain a également approuvé un nouveau décret réviser les procédures relatives à la détention provisoire et à promouvoir les peines alternatives. Ce projet est perçu par leurs concepteurs comme un pas en avant dans la modernisation du système judiciaire. Toutefois, certaines associations, comme l’Union nationale des associations œuvrant dans le domaine du handicap regrettent que les réformes en cours n’incluent pas suffisamment les préoccupations des populations vulnérables.
La révision du code pénal, dossier à risque, sera également un dossier phare de cette session parlementaire. Le ministre de la justice, Abdellatif Ouahbi, a affirmé que cette réforme constitue l’un des plus grands défis de son mandat. Selon des sources proches du dossier, citées par Jeune Afrique, l’abolition des peines de prison pour certaines infractions liées aux libertés individuelles, telles que celles encadrées par l’article 490, reste en discussion.
Les réformes de la Moudawana et du droit de grève : un enjeu sociétal majeur
Cependant, la réforme la plus attendue est sans nul doute celle de la Moudawana, le code de la famille. Annoncée par le roi Mohammed VI en septembre 2023, cette révision vise à promouvoir l’égalité entre hommes et femmes, mais les contours précis de la réforme sont encore en pourparlers. Le souverain, dans son discours du Trône, a insisté sur l’urgence de moderniser ce texte pour mieux répondre aux aspirations actuelles de la société marocaine.
Parmi les autres chantiers en cours, la réforme du droit de grève est également en discussion. Ce projet de loi, qui traîne depuis près de soixante ans, vise à encadrer l’exercice de ce droit en conformité avec les principes constitutionnels de 2011. Les syndicats, mobilisés sur ce front, continuent de réclamer un cadre législatif équitable pour les travailleurs, tout en critiquant le manque de concertation dans l’élaboration de ce texte. Le projet de loi sur le droit de grève, actuellement en cours de révision, se heurte à une vive opposition de la part de certaines branches syndicales. Le grief principal formulé contre cette réforme est qu’elle n’apporte pas de garanties suffisantes quant à l’exercice libre du droit de grève, jugé essentiel par les syndicats dans la défense des droits des travailleurs. Ce texte est perçu comme une tentative de restreindre les libertés syndicales sous couvert de reconfiguration des relations professionnelles. Dans une déclaration récente, la Fédération des syndicats démocratiques (FSD) a souligné une «régression manifeste» en matière de droits sociaux et économiques, appelant le gouvernement à revoir sa copie avant de soumettre le projet à la Chambre des représentants. Le ministre Sekkouri, quant à lui, se veut rassurant et affirme que des ajustements sont en cours pour garantir un équilibre entre les droits des travailleurs et les impératifs économiques du pays.
Un gouvernement sous pression
Face à l’ampleur des réformes engagées, le gouvernement d’Akhannouch est confronté à un défi de taille : réussir à concilier des réformes structurelles indispensables avec une stabilité sociale déjà fragile. La rue marocaine, sensible à la moindre modification touchant ses acquis sociaux, observe de près les décisions prises au sommet de l’État. Les syndicats, les associations et les courants sociaux seront des acteurs clés de cette session parlementaire. Leur capacité à fédérer, à influencer le débat public et à peser sur les décisions politiques ne doit pas être sous-estimée. Le Parlement, lieu de cristallisation des tensions, sera sans doute le théâtre de confrontations idéologiques et politiques.
Dans ce contexte législatif chargé, le gouvernement d’Aziz Akhannouch doit également composer avec des pressions sociales croissantes. La gestion des finances publiques, l’accroissement des inégalités sociales et la portée des réformes économiques seront au cœur des débats parlementaires de cette session, croit savoir Jeune Afrique. De plus, le climat de méfiance qui règne au sein de certains syndicats et de mouvements sociaux ajoute une dimension supplémentaire à l’équilibre précaire du gouvernement et aux questions épineuses qu’il doit traiter.