Qui sauvera la patiente diabétique, amputée de son pied gauche et hospitalisée dans la chambre 420, service de chirurgie vasculaire de l’hôpital Nord (APHM) ?
C’est l’incroyable question qu’on a été contraint de se poser après avoir entendu en fin de matinée, ce samedi 7 janvier à l’hôpital Nord, chambre 420 et de la bouche d’une infirmière totalement désarmée : « malheureusement je ne peux pas donner l’insuline à cette dame car il n’y a pas de protocole de soins, ce serait une trop grosse responsabilité, je n’ai pas le droit. Elle n’est pas enregistrée ».
Fatna, la patiente marocaine, qui ne parle pas le français, lance des regards interrogatifs. « Que vont-ils faire de moi ? » Son obsession du moment ne sont pas les escarres qui percent, les maux de ventre car elle est constipée depuis cinq jours, son désespoir moral d’avoir perdu son pied gauche dont elle a été amputée le 23 décembre 2016. Elle sait que sa vie ne sera plus la même. La seule chose qui l’obsède : sa dose d’insuline qu’elle n’a pas depuis sa ré-admission à Nord via les urgences de la Timone.
Muriel Petit et Naoui El Kebir ne sont pas membres de la famille de cette patiente. Lui, c’est son compagnon à distance puisqu’il vit à Marseille et elle, Fatna, à Fez au Maroc.
Muriel est fiancée au frère de Naoui. Fatna est arrivée avec un visa pour les vacances d’hiver. Diabétique insulino-dépendante son pied connaît alors une inflammation. Elle est prise en charge par les urgences de l’hôpital Nord. La décision tombe : il faut l’amputer jusqu’au tibia. L’opération se déroule correctement, et jusque là, son parcours de patiente est conforme à ce qu’on connaît du 3e CHU de France, à ce qu’on attend du service public hospitalier.
« Pendant sa première hospitalisation, elle mangeait, elle avait des médicaments, ils la lavaient », raconte Naoui. « Au bout de cinq jours, après son opération, elle a quitté l’hôpital avec une ordonnance pour les pansements ». Une infirmière libérale intervient solidairement à domicile à partir du 30 décembre. « C’est un membre de la famille qui m’a contactée, explique Nawal Djermane. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas d’argent. J’ai répondu que cela n’avait pas d’importance. C’est la base de notre métier d’avoir de l’humanité. Elle avait un traitement de base pour lediabète et le changement des pansements 1 jour sur deux pendant 21 jours ». Elle a donc changé les pansements, pris les constantes comme on dit et rectifié le niveau de l’insuline. Au quatrième jour, « j’ai remarqué une dégradation de la plaie ce qui est souvent le cas chez les diabétiques car ils cicatrisent mal. Ça commençait à être rouge, à nécroser. Avec l’expérience on reconnaît cette odeur spécifique, limite nauséabonde ». Ce qui signe le départ d’une nouvelle infection.
Naoui la ramène aux urgences Nord le mardi 3 janvier 2017. « Ils n’ont pas voulu la prendre parce que sur l’ordinateur les frais de l’opération n’avaient pas été payés. Nous sommes alors partis pour celles de la Timone. On a eu un papier pour que Nord l’accepte car ça n’allait pas du tout ». Avec Muriel, ils tentent de remuer ciel et terre mais sont dépassés par la somme des problématiques et le visa de Fatna expire le 27 janvier 2017. C’est par un mail que Muriel nous avait alertés : « le médecin chirurgien a répondu à la famille qu’il ne pouvait plus la soigner car l’hôpital n’avait pas été réglé de ses soins et que cela coûte très cher. Celui-ci a conseillé de la rapatrier au Maroc ». Fatna n’est pas d’accord. Elle veut être sûre qu’elle est guérie or elle a mal. Elle nous explique ce matin avec l’aide de Naoui pour la traduction, qu’elle ressent l’infection dans sa chair. De plus, elle dit ne plus recevoir, les soins, traitements et même sur le plan hygiénique. Naoui et Muriel redoutent le pire. « On sait qu’ils ne veulent plus lui donner d’insuline et qu’ils demandent sans arrêt le passeport pour le rapatriement ». Fatna souffre en silence et vomit ses repas.
Ce matin nous étions à son chevet. Fatna était très affaiblie. « Je viens de discuter avec les deux médecins qui m’ont dit qu’il valait mieux la rapatrier la-bas, nous raconte Muriel vers 13h. Nous étions en effet encore présents lorsque les médecins sont entrés dans la chambre, nous demandant de sortir. « Je leur ai demandé après, quels étaient les risques pour la patiente si elle restait sans traitement. La médecin m’a coupé la parole pour clore la discussion au prétexte que je ne suis pas membre de la famille. Mais j’ai demandé un écrit sur son état de santé avec le résultat de l’analyse biologique que l’infirmière a fait réaliser. Et j’ai prévenu que si demain on ne me donnait pas de réponse je passerai par d’autres voies. Le montant de la prise en charge s’élève à environ 100 000 euros. On le sait, c’est beaucoup. On a bien conscience que l’hôpital ne peut pas tout régler mais laisser une personne sans soins ce n’est pas possible, sans garantie de traitement et de vie après une opération qui s’infecte, non plus ».
Nous l’avons constaté directement. Ce samedi matin entre 11h et midi, Fatna n’était toujours pas enregistrée et ne bénéficiait d’aucun protocole de soins. Elle n’existait pas sur le plan administratif. Son taux de glycémie était le matin à 3,9g a rapporté Muriel. Le Consul du Maroc et le directeur de l’hôpital Nord se sont rendus en chambre vendredi, selon Naoui. Une piste de prise en charge pourrait être étudiée afin qu’elle soit rapatriée après stabilisation et guérison.
« Un problème d’enregistrement de papiers sur le numérique »
A 15h, selon la direction de l’AP-HM qui reconnaissait un problème d’enregistrement de papiers sur le numérique, tout était réglé, a indiqué Daniel Pantalacci, directeur de la sécurité des biens et des personnes. Il a démenti l’absence de protocole de soins. « Un certain nombre de renseignements n’avaient pas été rentrés sur support informatique. Il y avait une attente de confirmation d’un certain nombre de paramètres. C’est pour ça qu’il y a eu effectivement un petit retard dans le traitement. Sa glycémie n’est pas équilibrée donc elle a un traitement toutes les quatre heures. Il y a eu aussi un retard parce qu’ils voulaient vérifier un certain nombre de constantes et éviter un dosage qui ne soit pas opportun ». Pour la direction générale, « c’est le rôle de l’hôpital public d’assurer le traitement égal de tout le monde. Le maximum sera fait pour que les choses évoluent favorablement ». Quant à la raison pour laquelle Fatna a été refusée aux urgences Nord, Daniel Pantalacci ne s’aventure pas sur le terrain mais avance qu’à « froid » des discussions auront lieu pour comprendre. « Les décisions seront prises en concertation avec la famille en fonction de l’état de santé de la patiente ». Si une nouvelle opération était nécessaire, l’APHM garantirait-elle la prise en charge dans la mesure où il s’agit des suites de la première ? Des discussions auront lieu sur la prise en charge admet-il. Mais « on ne met personne dehors, l’humanité et la déontologie hospitalière veulent qu’on assure toujours la sécurité des soins ».