En cette journée du 8 mars, la militante des droits humains, Maître Jamila Sayouri présidente de l’association Adala “Pour un procès équitable” au statut ECOSOC, membre de la Commission nationale du droit international humanitaire et détentrice du prix des droits humains 2021 décerné par le Forum marocain pour la démocratie et les droits de l’homme, répond à deux questions sur l’approche égalitaire au Maroc.
Où en est le Maroc sur le plan des droits de la femme ?
Commençons par le mariage des mineures qui augmente de façon inquiétante d’année en année (cela concerne aussi des mineurs mais leur nombre est moins important que celui des filles). Les derniers chiffres officiels de 2020 font état de plus de 13 000 mariages autorisés sur 20 000 demandes.
En 2022, les mineurs peuvent toujours, selon le pouvoir discrétionnaire du juge, être mariés. Pourtant leur place est à l’école et non pas à fonder une famille avec toute la responsabilité que cela représente. Le discours officiel est que le mariage des mineurs est appelé à disparaître progressivement. En réalité, il faut que cela s’arrête sans délai, car les procédures mises en place ne protègent pas le ou la mineur.e.
Le juge procède, dans ces cas-là, selon les normes du droit coutumier et non selon les normes juridiques du droit objectif ou les normes des conventions internationales. La critique de la procédure actuelle concerne le fait que les dossiers d’autorisation des mariages de mineurs ne sont pas du tout étudiés. Preuve en est, une fois l’enfant est marié, il n’y a aucune procédure de protection du/de la mineur.e. Une fois l’accord octroyé par le juge, le Ministère public ne peut rien faire car il n’y a pas de recours.
En deuxième lieu, la femme est toujours confrontée au problème de tutelle. Que la femme soit gardienne de ses enfants ne lui permet pas de gérer les avoirs de ses enfants ni d’opérer certaines décisions pourtant basiques : comme le transfert d’école à école si le directeur d’établissement exige l’accord du tuteur. Une procédure qui se corse quand le père est absent de la vie de ses enfants. Il en est de même pour voyager avec ses enfants à l’étranger.
Troisièmement, la polygamie. Les contournements de la justice sont nombreux et la polygamie est toujours très présente dans notre société. Pour se faire juridiquement, la condition sine qua non est que l’homme doit être nanti. Dans les faits, beaucoup de fonctionnaires/salariés moyens bénéficient de cette autorisation. La question qui demeure est donc : sur quel critère le jugement est-il rendu favorable ?
Aujourd’hui, la polygamie n’a plus aucune assise économique ni sociétale. La solution est donc de rester marié à la même femme ou divorcer.
Quatrièmement, la question de la pension alimentaire ainsi que de la faire appliquer est toujours un souci majeur au Maroc.
A l’époque où nous avions demandé la caisse de solidarité, c’était pour que l’État joue le rôle de cette dépense quand la pension alimentaire n’est pas reversée à la mère. Et ce, soit par manque de moyens financiers soit par défaut de règlement à l’ex-épouse et gardienne des enfants. Il est entendu que l’État dispose des moyens de se faire rembourser auprès des hommes qui refusent de payer la pension alimentaire due. Or, aujourd’hui encore, la mère doit batailler et prouver qu’elle n’a aucun revenu pour bénéficier des 350 dhs mensuels pour elle et par enfant. Même les avocats qui représentent ces femmes, n’ont aucun recours si l’ex-mari ne répond pas aux courriers de relance qui lui sont adressés à son domicile.
Cinquièmement, le problème de l’héritage inégalitaire. Souvent la femme contribue à 80 % à faire vivre sa famille. Pourtant quand les parents meurent c’est le garçon qui va hériter du double même s’il n’a jamais contribué à faire vivre ses parents ou même s’il a moins contribué que la fille.
Cette contribution n’est pas qu’un effort financier, mais aussi physique et moral quand la présence de la femme aide au bien-être de la famille. Le partage des biens et donc de l’héritage doit prendre en compte toutes ces considérations. Le CNDH avait établi un rapport sur ces sujets-là et avait demandé la réévaluation et la reconsidération de tous ces points. Même des fqihs sont allés dans le sens de ce rapport.
Ainsi la société civile, dont Adala, contribue à bâtir une meilleure société. Nous ne changeons pas la religion, nous changeons les règles sur lesquelles se fondent la société et les relations hommes-femmes.
Que faut-il faire pour améliorer les droits de la femme ?
La volonté de l’Etat existe. Elle est exprimée dans les discours et orientations. On l’entend. Mais il n’y a pas de politique publique de l’approche égalitaire et de lutte contre les violences contre les femmes. Il n’y a pas une planification, il n’y a pas de mécanismes de protection ni d’anticipation de ces mécanismes ou de lutte contre les stéréotypes, ni de vulgarisation de la loi à travers les médias, la culture et les campagnes de sensibilisation adressées aux citoyens.
La question de la femme est transversale. Le gouvernement est défaillant à ce niveau-là. Non seulement la question de la femme doit être partagée entre les secteurs gouvernementaux mais elle doit bénéficier d’une coordination entre les départements et leurs programmes la concernant.
Ainsi, quand on parle de lutter contre la violence faite aux femmes, le minimum c’est qu’il y ait des centres d’accueil pour les concernées. Et ce, pour leur éviter le choix entre “être livrées à la rue” ou “le retour au foyer conjugal violent”. Ces centres d’accueil existent dans les discours, mais dans la pratique, ils ne fonctionnent pas par manque de fonds de roulement.
Quant aux problèmes de précarité sociale qui engendrent les mariages de mineures, leur traitement est du ressort de l’État via des programmes de développement destinés à protéger les gens de la pauvreté et par extension les mineurs. A titre d’exemple, dans certaines régions rurales les parents n’envoient pas leurs filles à l’école par crainte de viols et les marient pour ne plus avoir à se soucier de les avoir à la maison.
Concernant le non-versement de pension alimentaire aux femmes, le programme de protection sociale actuel, voulu par le roi, doit englober la protection des familles car quand la mère n’a pas de quoi subvenir aux besoins de ses enfants, ces derniers, souvent, font face à des problèmes de drogue et de prostitution, qui finissent par se transformer en problèmes sociaux qui impactent la société entière.
Le mot de la fin
Nous sommes encore loin de l’égalité hommes-femmes. Et ce, d’autant plus que la Moudouwana de 2004 a été élaborée dans un contexte politique où il fallait qu’elle soit publiée en l’état concernant le divorce et les dispositions le régissant ; ou encore relativement à des articles restés incomplets et sujets à la jurisprudence des magistrats. C’est ainsi que la situation de la femme est demeurée problématique dans le rendu des jugements de divorce demandé par la femme. Dans certains cas , on lui enlève de ses droits. Dans d’autre cas, certains mécanismes sont restés formels, comme l’institution de la réconciliation entre époux. Ainsi, les obstacles à l’égalité en droits sont liés aux dispositions mais aussi aux problèmes que ces dispositions même, créent.
Par ailleurs, la loi 103-13 sur le harcèlement et les violences faites aux femmes est défaillante car elle est basée sur les mœurs et non sur l’approche Droit.
Pour y pallier, il faudrait faire plus de campagnes de sensibilisation dans lesquelles les médias ont un rôle plus important à jouer, en ce sens qu’il est essentiel pour que l’approche des droits humains soit généralisée chez toute la population.