Le 4 octobre dernier, un arrêté conjoint du ministre de l’Emploi et du ministre de l’Économie et des Finances, conformément au Dahir n° 1-57-187 du 24 Joumada II 1383, signaient la dissolution du Conseil d’administration de la Mutuelle générale du personnel de l’administration publique (MGPAP). Son président, Abdelmoula Abdelmoumni avait accumulé de graves cas d’irrégularité. Les pouvoirs dévolus au conseil d’administration de la MGPAP ont été confiés à quatre administrateurs provisoires, signant ainsi la fin du « règne » d’Abdelmoumni, qui œuvrait en toute impunité.
Un communiqué du ministère de l’Emploi explique que cette décision s’est imposée suite aux «nombreuses infractions et irrégularités de gestion ayant entaché le fonctionnement de la mutuelle», ainsi qu’«aux dommages causés aux droits et aux intérêts des adhérents». Ces derniers sont appelés à tenir de nouvelles élections dans un délai de trois mois. La mission du conseil d’administration provisoire consiste également à assurer la gestion des affaires de la mutuelle, jusqu’à la nomination des nouvelles instances dirigeantes, tout en veillant sur la continuité des services fournis aux adhérents et ayants droits. L’hebdomadaire Telquel a retrouvé trois rapport confidentiels qui ont pointé, entre 2013 et 2019 les actes illégaux ponctuant la gestion de la MGPAP.
La MGPAP comptait plus d’un million de fonctionnaires adhérents et leurs familles. Plusieurs milliards de dhs étaient donc passé par les caisses d’Abdelmoumni en 10 ans, dont beaucoup ont été gérés hors la loi. Les dysfonctionnement ont commencé à être constatés en 2013, au moment où la Direction des assurances et de la Prévoyance sociale a demandé à l’Inspection générale des Finances (IFG) de se pencher sur la question. Plusieurs manquements de gestion ont été constatés, mais cela n’était pas assez suffisant pour dissoudre le Conseil d’administration d’une mutuelle. L’année suivant, la CNOPS rendait un rapport aux ministères de tutelle sur la MGPAP, faisant état de plusieurs manquements dans le traitement des dossiers et de failles à la confidentialité des patients, puisqu’elle déléguait à celle-ci la réception des dossiers maladie relatifs aux soins ambulatoires, qu’elle traitait et contrôlait avant de remettre à la CNOPS pour paiement. La goutte qui aura fait déborder le vase sera un rapport de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) en 2019, qui a passé au crible toutes les opérations liées à la gestion financière et administrative de la MGPAP de 2013 à 2018, révélant de graves dépassements. C’est le rapport qui poussera et appuiera la décision du ministère de l’Emploi et du ministère des Finances pour actionner l’article 26 du Dahir n° 1-57-187 du 24 Joumada II 1383 et dissoudre le conseil d’administration de la MGPAP.
Dans le détail, l’inspection effectuée par la brigade de contrôle de l’ACAPS d’un échantillon des marchés publics passés par la mutuelle a révélé plusieurs infractions au règlement de passation des marchés, ainsi que des opérations douteuses, comme dans le cas de la prestation de réception et de traçabilité des dossiers maladie, déléguées à la MGPAP par la CNOPS. Le rapport de l’ACAPS fait également des révélations choc concernant la masse salariale de la MGPAP : toute une partie de la masse salariale, dont le coût annuel dépasse les 1,5 millions de dhs, serait en réalité au nombre d’une vingtaine issus d’un marché déguisé de recrutement. Il parait également que la MGPAP a confié le traitement des dossiers à des personnes non habilitées, ce qui constitue une violation de la législation en vigueur relative à la protection des données à caractère personnel, et même si la MGPAP a été appelée depuis 2014 à remédier à cette situation, celle-ci n’a pas réagi. En plus de cela, l’ACAPS avait, dans son rapport, relevé d’onéreuses assemblées générales (AG) qui coûtaient dans les environs de 18 millions de dhs en 2018, soit environ 2,5 millions de dhs par AG, hors frais de déplacement. Ces sommes comptaient en réalité des gratifications d’Abdelmoumni envers ses administrateurs favoris, les délégués des adhérents et certaines de ses connaissances.
L’ACAPS donne comme exemple de dépenses injustifiées l’AG de 2016 où 540 personnes ont été prises en charge alors qu’il n’y a officiellement plus que 495 délégués. Selon le rapport, ces “intrus” étaient les membres du bureau exécutif de l’Union Africaine de la Mutualité (UAM), des représentants de l’ODEMA (Organisation des entités mutuelles des Amériques), ainsi que des invités nationaux et internationaux. Le prestataire chargé de l’organisation de l’AG en question, « Fan Tours SARL”, a assuré l’achat des billets d’avion pour les personnes venant de l’étranger, et donc externes à la mutuelle, pour un montant de 173.094 dirhams. A cette somme, il faut ajouter l’achat source de 9 billets d’avion supplémentaires, l’hébergement dans trois suites exécutives, la mise à disposition de deux minibus, en plus de voitures haut de gamme (3 Mercedes Classe E, un 4×4 et une Peugeot 508). Coût de ces prestations supplémentaires : près de 400.000 dirhams. Bis repetita pour l’AG de 2018. La mutuelle s’est engagée à régler à l’hôtel Mogador Palace une prestation couvrant au minimim 540 personnes et au maximum 600. Au final, seuls 455 délégués étaient présents.
Après la dissolution du MGPAP, Abdelmoumni fustige. Il organise quelques jours après une conférence de presse au siège de l’USFP, accusant Mohamed Yatim, ex-ministre de l’emploi, d’avoir entrepris cette démarche afin de mettre la MGPAP sous la coupe du PJD. Abdelmoumni a dénoncé une « dissolution politique » du Conseil d’administration, mais ses propos ont résonné faux. Les dépassements d’Abdelmoumni ont été constatés bien avant l’arrivée du PJD, mais il n’y avait pas assez de preuves pour le rappeler à l’ordre. Rappelons qu’Abdelmoumni était également impliqué dans une affaire de harcèlement sexuel, séquestration et non assistance dont il a été accusé par une fonctionnaire de la Mutuelle. Une affaire déclarée sans suite par la justice, mais l’affaire n’a pas manqué de s’ajouter à l’image de fraudeur confirmé que s’était construit l’ex-patron de la MGPAP.






