Le système de santé au Maroc souffre de terribles défaillances. Malgré les rallongements budgétaires successifs, les Marocains ont toujours une mauvaise perception du système de santé en général.
La mauvaise qualité des services, la faillite du système de santé public, à cause de la faiblesse des infrastructures et des ressources, et la montée continue des dépenses de santé pour les ménages se trouvent parmi les défis auxquels le secteur de la santé au Maroc est aujourd’hui confronté.
Le 7 novembre 2018, le Souverain a reçu le Chef du gouvernement, Saâdeddine El Othmani, et le ministre de la Santé, Anas Doukkali. Au cours de cette audience, le Monarque a indiqué que le secteur de la santé doit gagner rapidement en efficacité et améliorer profondément son fonctionnement et la qualité des services rendus ; l’objectif étant que les citoyens commencent à percevoir des améliorations concrètes. Aujourd’hui, et à la veille de l’élaboration d’un nouveau modèle de développement, la question de la réforme de ce secteur a été soulevée lors d’une conférence sous le thème : « le nouveau modèle de développement face aux défis de la réforme du système de santé « , à laquelle Barlamane.com/fr a assisté.
Selon les résultats d’un sondage réalisé par une multinationale spécialisée en tous types d’étude de marché, présentés lors de cette conférence, il s’avère que globalement, les Marocains sont très peu satisfaits du secteur de la santé au Maroc. 88% se déclarent insatisfaits de la qualité des soins disposés. 39% des répondants estiment que ce secteur s’est développé au cours des dernières années. De plus, les femmes et les jeunes semblent avoir plus confiance dans le développement de ce secteur. 62% ont eu recours aux services publics marocains. En outre, 49% des personnes sondées pensent que le Ramed ne couvre pas la totalité des soins. Ce qui confirme qu’il est aujourd’hui nécessaire de repenser le mode de gouvernance du secteur de la santé au Maroc.
Dans ce contexte, Maryam Bigdeli, Représentante de l’OMS au Maroc, rappelle que le secteur de la santé souffre du manque de moyens humains et logistiques, de la mauvaise répartition régionale des médecins, de la faiblesse de l’offre de soins, de la vieillesse des infrastructures hospitalières et de l’absence de couverture médicale. Avec 7 médecins environ pour 10.000 habitants, le Royaume est loin du standard international établi par l’OMS, qui stipule qu’il faut un médecin pour 650 habitants. Son budget de la santé, comptant pour seulement 6% dans le budget de l’Etat, est également en-deçà du niveau standard recommandé par l’organisation mondiale [NDLR : entre 10 et 12%]. D’après la responsable onisienne, le citoyen marocain souffre depuis de longues années d’un système de santé qui, malgré certaines réformes, n’a pas pu produire une offre de soins de qualité, capable d’alléger ses souffrances et répondre à ses attentes.
Pour sa part, jaâfar Haikal, Professeur en médecine et expert en management sanitaire, soutient qu’il est aujourd’hui nécessaire de rationaliser les dépenses du secteur de la santé, d’où vient la nécessite de l’extension de la couverture médicale aux autres catégories de la population, l’augmentation du budget du secteur de la santé, la mise en place de mécanismes de financement innovants, la mise en place d’un organisme gestionnaire du RAMED, la réduction des dépenses directes des ménages et le renforcement du partenariat public/privé (PPP).
L’expert en management sanitaire, rappelle qu’après une hausse de 10% dans la Loi de finances (LF) 2019, le gouvernement a prévu une nouvelle hausse des ressources allouées à ce département pour 2020. La progression du budget cette année a été de 14,4%, selon la LF 2020. Le budget général du département dirigé par Khalid Ait Taleb en 2020 a été donc de 18,6 MMDH contre 16,3 MDH en 2019. Dans ce cadre, M. Haikal s’interroge si ce budget est bien géré par le département ministériel étant donné que les hôpitaux marocains continuent de souffrir de déficit budgétaire. Il faut donc changer de paradigme et optimiser la gouvernance et la « gouvernementalité » de ce secteur pour éviter « les dépenses catastrophiques de santé » en optant pour un PPP.
Redouane Semalli, Président de l’Association nationale des cliniques privées, souligne également la nécessité de mutualiser les ressources et renforcer davantage les PPP afin de constituer un système d’offre de soins complémentaire et coordonné garantissant une répartition géographique équitable sur l’ensemble du territoire national. Il annonce aussi que le secteur de la santé a aujourd’hui besoin plus que jamais de techniciens de soins tout en soulevant la question de l’injustice fiscale dans le secteur de la santé. En effet, l’investissement dans ledit secteur est taxé par des TVA injustes puisque le nombre d’impôts, qui continuent à encombrer le système fiscal, reste impressionnant. Même si, là encore, des impôts ont certes été supprimés ou formellement intégrés dans d’autres, la densité du système reste excessive au regard du rendement de la grande majorité de ses composantes s’agissant des investissements dans le secteur de la santé au Maroc.
Quant à Bouthaina Iraki Houssaini, Pharmacienne, Directrice générale de Locamed, elle explique que les défis liés à l’accès limité aux soins, au déficit en ressources humaines, à la qualité des services insatisfaisante et aux changements climatiques entraînent de nouvelles menaces sanitaires. Il est ainsi aujourd’hui nécessaire d’améliorer et généraliser les services de santé à travers la généralisation de la couverture sanitaire, le renforcement de l’accès aux soins et services de santé, la consécration de la santé maternelle et infantile comme priorité nationale stratégique, ainsi que le renforcement des ressources humaines en santé.
Il est aussi question d’améliorer la gouvernance et optimiser l’allocation et l’utilisation des ressources. Ceci devra passer par le développement du réseau hospitalier public, le renforcement du réseau des établissements de soins de santé primaires (ESSP), celui des établissements médico-sociaux et le développement de la santé mobile, la consolidation de l’accès au réseau hospitalier, le développement de la médecine de proximité et de famille, l’appui du Plan national des urgences médicales, ainsi que l’amélioration de l’accès au médicament et aux produits de santé sécurisés. Il faut aussi opter pour l’élargissement de la couverture sanitaire de base et la réduction du fardeau de la pénurie en ressources humaines, à l’amélioration des conditions de travail et de la motivation des professionnels, ainsi qu’au renforcement du cadre législatif et réglementaire du secteur de santé.
Radia Chmanti Houari, membre AFEM (association des femmes chefs d’entreprises au Maroc), relève que l’économie de santé au Maroc révèle l’ampleur du sous-investissement de l’Etat dans ce secteur social. Une situation qui pousse les Marocains à financer à plus de la moitié leurs soins de santé. Une équation qui sera amenée à se renforcer si les projets de privatisation de la santé et de libéralisation de la médecine sont adoptés davantage par le Maroc
Elle rappelle également que lors du conseil d’administration de l’ANAM, le directeur général de cette institution, Khalid Lahlou, a présenté les chiffres phares du rapport annuel global de l’AMO au titre de l’exercice 2018. Le rapport fait état d’une population couverte de l’ordre de 10,1 millions de bénéficiaires. A fin 2018, les ressources de l’AMO ont été estimées à 12,37 milliards de dirhams (MMDH) de cotisations et contributions. Quant aux dépenses, destinées à 31,5% aux médicaments, elles se sont chiffrées à 8,9 MMDH. Il est à noter que 3,2% de la population couverte est atteinte de maladies de longue durée. Celle-ci consomme à elle seule 51,5% des dépenses.
Il semble alors que les experts et les professionnels de la santé s’accordent à dire que le secteur est fortement marqué par bon nombre de dysfonctionnements préjudiciables et un accès verrouillé aux soins pour le plus grand nombre de citoyens. Leur audit a pointé une série de défaillances qui caractérisent le système national de santé publique, telles que la pénurie des ressources humaines, l’insuffisance de la réflexion stratégique et le caractère limité des dépenses consacrées aux soins préventifs et la fragmentation des systèmes d’information sanitaire traduits par des programmes verticaux.