La commission spéciale chargée de repenser le modèle de développement marocain et de réduire les disparités sociales a présenté enfin son rapport, un diaporama – discursif, figural, chiffré ou structuré – des processus, des mécanismes ou des déterminants du développement voulu. Réalisé à travers la croissance du secteur économique, les particularités politiques, les réalités socioculturelles diverses et le potentiel de certains secteurs grandissants, le projet s’annonce ambitieux mais les défis soulevés sont énormes.
D’abord, un détail majeur : les politiques de développement économique Maroc ont été souvent «accusées» d’être fortement déterminées par des modèles extérieurs (occidentaux surtout), axés principalement sur la croissance et supposés être mis en œuvre avec l’appui des dispositifs de coopération. La commission spéciale chargée de repenser le modèle de développement a présenté, le 25 mai, une ambitieuse vision «locale» centrée sur les spécificités modèle marocain et fondée sur des référents incontournables de l’action publique, faisant ainsi écho au discours du roi prononcé le 13 octobre 2017 lors de l’ouverture de la session parlementaire : «Si le Maroc a réalisé des progrès manifestes, mondialement reconnus, le modèle de développement national, en revanche, s’avère aujourd’hui inapte à satisfaire les demandes pressantes et les besoins croissants des citoyens, à réduire les disparités catégorielles et les écarts territoriaux et à réaliser la justice sociale».
Présidée par Chakib Benmoussa, actuel ambassadeur du Maroc en France, et composée de 35 membres dont dix femmes, la commission du développement a soumis au roi Mohammed VI, le 25 mai, un rapport contenant les «inflexions souhaitables et des initiatives concrètes» pour «adapter le modèle de développement». Le document de 170 pages se divise en trois parties (diagnostic, gouvernance publique et mesures proposées), et se décline en quatre nœuds «identifiés comme étant à l’origine de l’essoufflement» du modèle actuel : « le manque de cohérence verticale entre la vision de développement et les politiques publiques annoncées et la faible convergence horizontale entre ces politiques et l’absence d’une vision stratégique globale et à long terme, partagée et assumée par tous les acteurs», «la lenteur de la transformation structurelle de l’économie affectée par les coûts élevés des facteurs de production et freinée par la faible ouverture sur de nouveaux acteurs innovants et compétitifs», «les capacités limitées du secteur public à concevoir et à mettre en œuvre des services publics accessibles et de qualité dans les domaines essentiels à la vie quotidienne et au bien-être des citoyens» et enfin «un sentiment d’insécurité judiciaire et d’imprévisibilité qui limite les initiatives, en raison d’un décalage entre certaines lois comportant des zones grises et les réalités sociales vécues, d’une justice qui pâtit d’un manque de confiance, d’une bureaucratie tatillonne et de recours inopérants».
La nouvelle stratégie est «traduite en principes d’action», permettant «de porter de manière concrète cette démarche de libération du potentiel, d’autonomie et de responsabilisation» et qui s’inscrit «dans une approche systémique, de développer les capacités des acteurs, de privilégier la subsidiarité et de veiller à la durabilité environnementale et à la soutenabilité financière des chantiers de développement». La doctrine émise appelle également à un «cadre de confiance et de responsabilité permettant de renforcer la sécurité juridique et morale des acteurs ainsi que la primauté de l’intérêt général.»
Bonne gouvernance, transparence et éthique
Les éléments constitutifs du cadre proposé par la CSMD sont «une justice renforcée, des lois claires, des règles transparentes et applicables à tous, la redevabilité des acteurs à travers l’évaluation régulière de leurs actions, et un respect strict des valeurs d’éthique et de moralité.» Le rapport insiste sur la bonne gouvernance associée à la transparence, à l’éthique, à l’efficacité de l’action publique. Loin du vocabulaire rassurant de l’objectivité technique, la CSMD appelle à une plus grande ouverture du processus de décision à toutes les échelles, à sa décentralisation, à la mise en présence concertée de plusieurs statuts d’acteurs.
Pour cela, La CSMD a proposé la mise en place de deux outils : un Pacte national pour le développement qui porte non seulement sur le bon fonctionnement des différentes composantes institutionnelles, économiques et sociales mais aussi sur la qualité de leur action. Il s’agit, selon les conclusions relevées, d’offrir un mode social plus consensuel, pluraliste, délibératif et participatif, qui entendant soutenir et faire advenir des transformations perçues comme attendues. Le second outil est un mécanisme, sous la supervision royale, dédié au suivi de la mise en place des objectifs du NMD, à l’avancement des chantiers stratégiques et à l’appui des changements.
Soutenir l’économie
Le rapport de la CSMD rappelle la nécessité pour le Maroc de réussir dans les prochaines années à s’engager durablement dans une trajectoire d’émergence. Profiter, pour cela, de la stabilité politique et sociale, de l’amélioration soutenue du climat des affaires, de l’augmentation du volume des investissements publics, parapublics, privés et internationaux, et d’une insertion engagée avec maîtrise dans des chaînes de valeur mondiales à fort contenu technologique.
Le rapport insiste sur la consolidation du PIB non agricole et par une amélioration des équilibres, surtout ceux extérieurs, permettant l’augmentation régulière des réserves officielles de change. Si l’économie marocaine s’est révélée définitivement résiliente dans un contexte international et régional difficile, elle souffre encore de fragilités structurelles, lesquelles risquent de constituer une entrave à l’avènement d’un développement pérenne et inclusif à moyen-long terme.
Les pôles de croissance manquent de dynamisme, les effets d’entraînement se laissaient attendre. Pour la CSMD, la vision 2035 doit viser à doubler le produit intérieur brut par habitant à l’horizon 2035 afin de perpétuer la caractéristique du Maroc «comme modèle à suivre dans l’environnement régional et international». Il s’agit de placer au centre des priorités «des politiques publiques» qui bénéficieront aux acteurs et aux concernés du processus de développement.
La proposition du Comité du modèle de développement a souligné que l’ambition attendue doit être compatible avec les attentes urgentes exprimées par les citoyens désireux de participer, de responsabiliser et de reconnaître. Le rapport pointe des liens entre croissance, inégalités et pauvreté et met en avant les objectifs suivants :
- la réduction de la pauvreté.
- la réduction des inégalités.
- Une croissance plus inclusive.
Toutefois, rappelle la CSMD, la situation sociale reste encore difficile, en particulier dans quelques régions rurales enclavées du pays. Les inégalités territoriales demeurent profondément marquées, et qu’il faut passer au-delà des logiques de transferts et le déploiement des services publics pour les atténuent. la CSMD propose une vision 2035 avec comme objectifs diminuer l’aggravation des déséquilibres macroéconomiques, générer des emplois et à réduire le chômage en particulier chez les couches les plus jeunes de la population.
L’ambition de 2035 est en termes de chiffres
Les recommandations du Comité du modèle de développement ont indiqué la nécessité d’augmenter le taux d’encadrement médical et sa conformité avec les normes de l’Organisation mondiale de la santé et de ramener le taux d’emploi dans le secteur informel à 20%.
Le rapport recommande de porter le taux de participation des femmes au marché du travail à 45%, contre 22% actuellement, et d’atteindre un taux de satisfaction des citoyens vis-à-vis de la gestion et des services publics supérieur à 80%. Il met en garde contre la nécessité pour les élèves de posséder une éducation de base à un taux de 90 pour cent, une donnée qui ferait du Maroc un modèle à imiter dans son environnement régional et international.
Conclusion, le principal défi du Maroc à moyen et long terme, selon la CSMD tient au caractère peu inclusif des précédentes visions de développement. L’ambition est une croissance partagée par la majorité de la population active du pays, laquelle sera étendue à l’ensemble des secteurs de l’économie. En ce sens, une développement général et inclusif doit permettre de réduire les inégalités mais également d’élargir le champ économique, notamment via une diversification sectorielle.