Lors d’une interview accordée au magazine mensuel « Zamane », Moncef Marzouki, ancien président de la République Tunisienne revient sur son enfance au Maroc, sa relation avec le roi Mohammed VI, le Sahara marocain, le terrorisme en Tunisie, l’Afrique, entre autres…Extraits.
Merzouki retrace alors l’histoire et les circonstances de l’exil de son père Mohamed qui a fui Habib Bourghiba et s’est réfugié au Maroc, jusqu’à sa mort en 1958. « J’ai eu droit, à 10 ou 11 ans, à mon premier interrogatoire de police, puis ce fut le calvaire d’être désigné comme le fils du « traître » », raconte-t-il.
Le père Merzouki avait par la suite décidé de faire venir toute la famille au Maroc, où feu le roi Mohammed V lui avait offert le poste de procureur du roi à Tanger. « L’arrivée au Maroc était pour la famille une vraie délivrance. Depuis cette date, le Maroc est associé dans l’esprit de toute notre famille à la terre qui nous a accueillis et redonné le goût de vivre », confie-t-il.
Lorsqu’il est rentré en Tunisie pour enseigner à la faculté de médecine de Sousse en 1981, l’ancien président raconte que son père l’appelait régulièrement en mélangeant les deux dialectes. « Cela se terminait régulièrement par le cri du coeur « Ahya, Endek, Isthallah fi el mgharba » (Je te mets en garde, prends bien soin des Marocains), quoi que tu fasses, tu ne leur rendras jamais le centième de ce qu’on leur doit« , témoigne-t-il.
S’expliquant sur la manière avec laquelle il a maintenu sa motivation et sur le soutien qu’il a reçu pendant la répression qu’il a subi du régime de Zine El Abidine Ben Ali, Marzouki a souligné que son vrai moteur était l’indignation, « l’indignation devant la torture, la corruption, les mœurs de la nomenklatura faite d’arrivistes de la pire espèce, la détresse et l’humiliation ambiante » a-t-il précisé tout en indiquant que ses soutiens n’étaient que des hommes et femmes « empreints de courage et d’abnégation » en plus des militants des autres pays, notamment les Marocains qui partageaient les mêmes valeurs.
Sur le terrorisme en Tunisie, le médecin indique au magazine que seul le courant démocratique s’est révélé le plus pertinent en 2010, « la révolution a été pacifique, démocratique, sociale et sans aucune référence à l’islam », affirme-t-il. « Le courant soft de l’islamisme a eu l’intelligence de s’intégrer, le courant dur, soudain sans objet, s’est retrouvé sur la touche et a cherché à continuer d’exister par tous les moyens, surtout là où cette existence pouvait se justifier, c’est-à-dire sur les champs du terrorisme », précise-t-il.
Interrogé également sur un partenariat plus élaboré entre le Maroc et la Tunisie, Marzouki souligne qu' »Au Maghreb, le duo Maroc-Tunisie ne peut fonctionner à l’abri du bon fonctionnement du trio Maroc-Algérie-Tunisie. Notre voisin de palier est l’Algérie. Nous ne partageons pas avec elle qu’une frontière, mais une histoire commune et une multitude de familles mixtes, sans parler des intérêts communs ».
Revenant sur l’ouverture du Maghreb aux autres pays, Marzouki répond « Nous Maghrébins avons une quadruple chance. Notre arabité, notre amazighité, notre africanité et notre méditerranéité. Ces quatre dimensions de notre identité doivent être pleinement et fièrement assumées. Nous devons tout faire pour nous ouvrir entièrement à ces quatre espaces car notre enrichissement économique, culturel et spirituel en dépend. »
En outre, l’ex chef de l’Etat évoque une « très bonne » relation avec le roi du Maroc, Mohammed VI. « Il m’a reçu lors de mon voyage officiel les bras ouverts. Il est venu en Tunisie en 2014. Pour faire taire des rumeurs stupides, il est resté dix jours chez nous ». Merzouki affirme ainsi que c’était « du jamais vu », « du jamais vu de voir le roi du Maroc déambuler tranquillement dans les rues de Tunis (…) Je pense honnêtement que c’est le seul dirigeant qui a compris le message des peuples lors du printemps arabe », atteste-t-il.
En réponse à une question sur le conflit sahraoui, Merzouki déclare qu’il n’y a pas de solution de ce problème sans changement de paradigme et sans pour autant se libérer de l’idéologie nationaliste inventée par les romantiques européens du XIXe siècle: un peuple=un Etat. L’histoire, selon l’actuel président du Mouvement Tunisie Volonté, est moins dogmatique. Elle a connu et connaîtra des Etats avec plusieurs peuples et une nation comme la nation arabe avec 22 Etats. Il souligne que cet actuel siècle s’achemine vers une restructuration totale de cette idéologie concernant l’Etat. « Il sera de plus en plus une structure intermédiaire entre une organisation fédérant plusieurs Etats, et des pouvoirs locaux très décentralisés. C’est dans un tel cadre moderne et plus humain que le problème sahraoui trouvera enfin sa solution: un Maghreb des peuples avec des régions pratiquant une démocratie de terrain », explique Merzouki.