La région nord-africaine vit des transformations politiques et géostratégiques importantes. Le Sahel aussi, d’autant qu’il jouxte la plupart des pays de l’Afrique du Nord.
A l’heure où les partis libyens font une course contre la montre pour panser les plaies de leurs différends politiques et militaires pour une solution démocratique et politique, une crise politique sévit en Tunisie doublée d’une crise économique sans précédent avec un ralentissement qui a atteint 8% pour la première fois depuis le milieu du siècle dernier. Les tensions maroco-algériennes sont marquées par une grave escalade suite à la décision unilatérale algérienne de couper ses relations diplomatiques avec le Maroc et de fermer son espace aérien à l’aviation civile marocaine. La région du Sahel, limitrophe des pays d’Afrique du Nord, abrite un mouvement actif de groupes terroristes et de gangs transnationaux du crime organisé et des tentatives successives du régime iranien de s’ingérer dans les affaires de ces pays pour accentuer leurs différences et leur instabilité.
Pour discuter de toutes ces questions, Newslooks magazine a invité M. Norman Roul, ancien fonctionnaire à la CIA où il a travaillé pendant 34 ans en y supervisant d’importants programmes au Moyen-Orient.
De la détérioration des relations algéro-marocaines
L’Afrique du Nord est une zone géographique stratégique due à sa proximité avec la Méditerranée, ses vastes ressources énergétiques, et ses principales voies commerciales vers l’océan Atlantique et l’Europe. En cela la stabilité et la prospérité en Afrique du Nord sont essentielles pour la sécurité mondiale.
N. Roul affirme que la détérioration des relations maroco-algériennes (avec la fermeture de l’espace aérien algérien au Maroc à partir de la fin août ainsi que de la fin du contrat gazier) a été une source d’inquiétudes pour les décideurs politiques en Europe et aux États-Unis, car elle engage la stabilité et la prospérité de la région, bien que Rabat ait déclaré que ces inconvénients économiques étaient mineurs. Pour Washington, de l’avis de N. Roul, il s’agit d’une interruption importante du commerce et de la stabilité politique au moment où de nombreux autres problèmes surgissent, liés à l’instabilité de la Libye, aux turbulences en Tunisie et aux problèmes en Méditerranée. Les activités du polisario ont elles aussi endommagé certaines économies eu égard au blocage des routes commerciales, rappelle-t-il.
Selon Roul, pour Washington cette série d’événements fâcheux évitables, ayant eu un impact sur beaucoup d’autres pays, auraient pu être traité par le dialogue et la médiation internationale. Il donne l’exemple des Emirats arabes unis et de la Jordanie, parmi de nombreux pays, qui ont demandé le rétablissement des liens entre le Maroc et l’Algérie et manifesté leur intérêt pour faciliter le dialogue entre les deux pays. Normal Roul, rappelle Newslooks magazine, a été parmi les premiers à alerter sur le danger de l’ancien membre du groupe polisario, Abu Walid al-Sahrawi, le chef de l’Etat islamique dans le grand Sahara, récemment tué.
Pour les Etats-Unis, pour la France et pour de nombreux autres pays dont le Maroc Et l’Algérie, il y a aussi un intérêt majeur à restaurer la stabilité économique et politique, seule arme qui empêcherait al-Qaïda de prendre pied dans cette région, soutient l’ancien fonctionnaire de la CIA. L’intérêt de ces pays est également d’assurer la coopération régionale afin de maximiser l’impact pour les forces de sécurité dans la neutralisation de ces terroristes. Norman Roul voit dans la coupure des relations Algérie-Maroc un cadeau aux terroristes et aux milices de la région. C’est également, insiste-t-il, un cadeau pour des pays comme l’Iran qui cherchent à favoriser les fractures dans le monde arabe.
Quant à Al-Sahraoui, il était très dangereux et expérimenté depuis son passage au polisario qui lui a enseigné les bases militaires et les techniques de propagande. Sa mort mettra probablement en difficulté pendant quelques mois l’Etat islamique au Sahara, mais il existe, de l’avis de l’ancien fonctionnaire de la CIA, un terreau relativement important d’individus susceptibles de le remplacer.
La région de Tindouf, un repaire de groupes terroristes ?
Concernant le rôle du polisario dans la fourniture de personnel à Al-Qaïda, de nombreux rapports, affirme Norman Roul, indiquent qu’il y a des dizaines, peut-être plus de cent membres d’Al-Qaïda et d’Isis dont la formation et l’initiation reviennent au polisario. Les groupes tels que le polisario et d’autres groupes de combattants ont tendance à déplacer le personnel dans les deux sens pour apprendre et échanger des techniques et des expériences qui sont ensuite utilisées pour tuer des civils innocents. C’est donc certainement un aspect sur lequel la communauté internationale voudra travailler mais il estime qu’avec la réduction des effectifs français dans la région, ce sera difficile. La coupure des relations entre l’Algérie et le Maroc ne fera qu’aider les combattants extrémistes dans leur sentiment de sécurité opérationnelle, martèle Roul.
Utilisation par l’Iran de son rapprochement avec Algérie pour cibler les intérêts américains en Afrique du Nord
Norman Roul pose le postulat suivant : l’Iran est dirigé par l’une des lignes dures depuis le début de la révolution en 1979, qui en fait un gouvernement sanglant. De nombreux acteurs et hauts responsables de son gouvernement ont, soutient-il, une longue histoire de violence et de soutien au terrorisme et aux actions contre les civils. Aujourd’hui, l’Iran utilise la diplomatie et la communauté internationale pour établir des connexions partout où il le peut dans la région pour faciliter les opérations des agents du ministère du renseignement et de la sécurité. L’Iran avait déjà importé dans la région par le passé ses agents de renseignement qui n’étaient pas là uniquement pour collecter des informations, mais aussi pour parrainer et développer le terrorisme. N. Roul insiste : Partout où l’Iran passe, où il établit un intérêt politique, des milices prennent place rapidement. L’Iran ne peut pas exporter la bonne gouvernance, car il ne peut exporter ce dont il est dépourvu. « Le Maroc a répondu à ses tentatives en l’expulsant car le Maroc est un pays qui assure la sécurité de ses civils et la sécurité de tous les étrangers qui y habitent ou y font du tourisme, les Américains inclus.
L’Algérie prétend que ses relations avec l’Iran ne sont pas particulièrement étroites. Mais l’Iran cherchera à les renforcer et à saisir cette opportunité pour se tenir aux côtés de l’Algérie contre le Maroc, étant donné la forte politique appropriée du Maroc contre l’Iran », résume Norman Roul.
Et si les menaces algériennes contre le Maroc étaient sérieuses ?
Pour l’ancien dirigeant de la CIA, le Maroc devrait prendre au sérieux toute menace impliquant un pays qui abrite un groupe de combattants qui visent à attaquer son peuple. Et le polisario entre dans cette catégorie.
M. Roul soutient que le Maroc devrait également s’inquiéter des déclarations répétées de l’Algérie et de cette forte désapprobation que ce pays montre du fait du rapprochement du Maroc avec Israël. Roul rappelle que ce rapprochement va dans le sens de plus de stabilité dans la région et permet également aux diplomates marocains de parler et d’affronter directement Israël sur sa gestion de la question palestinienne. La réponse de l’Algérie à ce rapprochement a été publiquement négative. Roul précise que certains ministres algériens ont déclaré à tort que les relations Maroc-Israel constituaient une sorte de menace conjointe contre l’Algérie, et que l’opposition de l’Algérie au rapprochement et à la paix dans la région à cet égard est un fait nouveau qui préoccupe beaucoup Washington.
Du risque d’attaques du Maroc par des groupes au nom de l’Algérie et de l’Iran
Norman Roul balaie de prime abord ce risque. Il soutient que le Maroc doit être jugé comme une force militaire et de sécurité très forte, bien entraînée et performante. Le pays, poursuit-il, a à son actif des années de succès contre le terrorisme et une stature crédible en tant que force militaire pour protéger le peuple marocain et les centaines de milliers d’étrangers qui visitent le Maroc chaque année et y vivent.
Cependant, il reconnaît que la frontière du Maroc comme les frontières de nombreux pays dont les États-Unis est poreuse et il n’est pas inconcevable que le polisario ou d’autres éléments puissent exploiter cette vulnérabilité pour entreprendre une activité terroriste. Roul déplore la dernière déclaration imprudente du dirigeant algérien, qui encore une fois, n’est pas en faveur du rétablissement du dialogue et la paix dans la région. La déclaration en question, explique-t-il amène les forces de sécurité marocaines à entreprendre ce qui est en leur pouvoir pour améliorer la sécurité dans la zone frontalière ; notamment dans les zones vulnérables pour lesquelles des actes terroristes pourraient être perpétrés dans le pays.
Au-delà de ces faits, Norman Roul ne pense pas que l’Algérie cherche un conflit militaire. Bien qu’il concède que les tensions dans la région peuvent conduire à un incident malheureux comme par exemple, un navire de guerre ou un avion s’approchant d’eaux réclamées par l’autre partie, lequel pourrait conduire à un embrasement de la situation.
Par conséquent, Norman Raoul insiste sur l’urgence de reprendre le dialogue pour le rétablissement des relations entre les deux pays au vu de problèmes plus importants qui minent la région dont le terrorisme et l’instabilité. L’heure, dit-il, est à la sagesse politique.
L’avis de Norman Roul sur les relation Maroc-Algérie
Pour l’ancien fonctionnaire de la CIA, le Maroc et l’Algérie doivent rapidement établir un cadre de dialogue en y incluant l’Europe et les Etats-Unis afin d’anticiper tout incident malheureux et pouvoir rétablir l’ordre et permettre aux synergies diplomatiques et politiques gaspillées dans cette escalade de tensions inutiles de se consacrer à des questions plus importantes dans la région, y compris l’avenir de la sécurité et l’économie des peuples algérien et marocain.