Le discours sur le développement ne servirait pas seulement de mètre-étalon à l’aune de laquelle les changements ambitionnés seraient jaugés. Il doit s’atteler à d’énormes défis : inclusion économique, protection sociale, «enseignement efficace», service de santé «de qualité», «équité fiscale», «justice efficiente et intègre», «renforcement des libertés individuelles et publiques» pour en finir avec le Maroc à deux vitesses.
Le rapport de la commission spéciale formée par le roi Mohammed VI a présenté plusieurs pistes de réformes, et préconise notamment de doubler le PIB par habitant à l’horizon 2035, de réduire à 20% la part de l’emploi informel et de soutenir l’initiative privée en éliminant «les entraves réglementaires, les barrières administratives et l’économie de rente». Le texte a été très bien accueilli, d’autant plus qu’il a mis la main sur les vrais problèmes qui ont constitué une pierre d’achoppement au développement au Maroc au cours des deux dernières décennies.
Les observateurs ont estimé que le rapport a étudié quantitativement les liens entre la croissance, la mue industrielle et l’emploi au Maroc, ainsi que le rôle des politiques publiques dans ce contexte. Le texte de 170 pages indique que les préoccupations formulées par le CSMD découlent principalement du «manque de confiance des citoyens dans les institutions publiques», et du problème «de la mise à niveau sociale des individus», se référant à les problèmes de l’emploi, du revenu individuel et de l’accès aux services publics.
Alors que le rapport mentionnait qu’il y avait des difficultés liées à la faiblesse de la protection sociale. S’exprimant sur la méthodologie qui a régi la rédaction du rapport, d’autant plus que la question est liée à «de larges consultations avec les citoyens qui incluent certaines attentes liées à la qualité d’un certain nombre d’équipements publics», Chakib Benmoussa a également indiqué que le rapport «n’est pas tombé d’en haut et n’est pas un programme gouvernemental.» Il a estimé, lors d’une conférence de presse, que le rapport est une feuille de route fondamentale «pour amener du changement dans la perception générale du développement futur du pays».
La classe moyenne, vecteur de l’émergence sociale
«Le rapport, qui comprend un diagnostic des carences et lacunes du modèle antérieur et des propositions visant à adopter un nouveau modèle pour réaliser un décollage du développement économique d’ici 2035, met l’accent sur le spectre du déclassement social» rapporte un observateur marocain. Il a ajouté que «le véritable mécanisme pour établir un vrai diagnostic social réside dans la manière dont les acteurs publics perçoivent la classe moyenne», considérant que «cette vision est réductrice et de nature statistique, et ne donne pas une image fidèle de la classe moyenne au Maroc, comme si nous considérons l’appartenance à la classe moyenne conditionnelle à l’obtention d’un salaire».
Sur les réseaux sociaux, «l’opinion publique est enfin et décidément saisie de la question de la réforme du modèle de développement ; grâce aux faits, qui, depuis des années, ont surgi de toutes parts, l’impossibilité de reculer plus longtemps cette démarche, ou de la borner à quelques insignifiantes modifications, devient évidente». La pensée du développement marocain est définitivement installée. Mais quelles en seront les bases et les limites ? Par où commencer ? Où s’arrêter ? Quel terme fixer pour l’accomplissement de ce projet, et dans ce terme, quelles gradations adopter ? Questions difficiles, irritantes parfois, que la CSMD a agitées.
«Les élites politiques et partisanes, qui sont aux manettes, que ce soit au niveau du gouvernement, des régions, des collectivités et des provinces locales ne cernent pas absolument de la profondeur des problèmes soulevés par le rapport» affirme le chercheur Ayman Morabit.
Les mots d’ordre dans le rapport de Benmoussa se succèdent dans un grand nombre de domaines : justice, administration, services publique, éducation, collectivités locales, urbanisme, aménagement du territoire, sécurité sociale, etc. Les réformes de l’action publique et les mobilisations qu’elles devraient susciter doivent coïncider avec les territoires du politique.
Deux vitesses différentes
Le chercheur Lahcen Bouchmama affirmé que «le Maroc vit à deux vitesses depuis deux décennies», notant que «les institutions consultatives et les comités thématiques nommés par le roi ont désormais eu l’audace de surveiller et de scruter les imperfections des courants actuels, comme c’est le cas pour le Comité du nouveau modèle de développement, alors que les responsables de la préparation et de la mise en œuvre des politiques édictées ne suivent pas cette vitesse et, dans de nombreux cas, peuvent les entraver.»
M. Boushamama a affirmé que le rapport du comité du nouveau modèle de développement «promet un changement social important dans l’histoire du Maroc», considérant que «le moment est venu d’éliminer toutes les causes de troubles sociaux. et tarir les sources de l’extrémisme et de la criminalité, en fermant la porte aux problèmes sociaux».
Il a ajouté: «Tout le monde est conscient et prêt à mettre en œuvre ce plan, et il existe de nombreuses mesures positives qui ont déjà été activées, appelant à «la nécessité de converger toutes les forces positives pour accomplir ce chantier». Le rapport de Benmoussa s’inscrit donc dans un effort de rétrospective et de réflexion collective qui analyse en termes de développement humain les avancées socio-économiques enregistrées par le Maroc, mais aussi les défis qui persistent et les perspectives à l’horizon 2035. L’enjeu est désormais de traduire ce diagnostic illustré en un programme d’action politique. Les inégalités sociales et la mauvaise prestation des services publics seront les problèmes – structurels au Maroc – auxquels les responsables politiques devront faire face et qui doivent rester au centre du «nouveau modèle de développement».