Le Roi : le Maroc de Mohammed VI, tel est le titre du nouveau livre de Guillaume Jobin et Valérie Morales-Attias. Un ouvrage de 260 pages présenté comme un reportage car il en a, exceptée la taille, toutes les techniques d’écriture et surtout l’argumentation. Il permet en plus de découvrir le Roi Mohammed VI et le Maroc sous un tout autre jour. Le premier qui oeuvre de façon pro-active sur plusieurs plans et le deuxième en évolution galopante.
Pourquoi un autre écrit sur le Souverain ? Parce qu’il passionne depuis vingt ans intra-muros et hors frontières. Et parce que le public est friand, au delà du commentaire et de l’analyse des grands moments d’un pays et de son Roi, de révélations inédites et inconnues du grand public. Et l’ouvrage en livre.
L’essai a l’audace de s’intéresser à un sujet qui fascine, et en même temps interroge. Il interroge sur la fraîcheur de l’information, sur son actualité, sur la proximité qui permettait une telle entreprise et le recul nécessaire pour commenter et analyser. Car un reportage -quel que soit son support audiovisuel ou écrit- pour attirer le lecteur, le spectateur ou l’auditeur, doit, au vu la longueur du genre journalistique, interpeller. Pour Guillaume Jobin, « c’est un reportage de 50.000 signes ». Lui qui se définit comme n’étant pas forcément dans l’actualité, décrit sa méthodologie comme « à l’américaine », dans le sens où il faut prendre du recul et prévient sur la manière d’écrire : « on n’a pas forcément donné notre raisonnement, ni nos sources, ni notre avis sur certaines choses ». Mais les techniques d’écriture du livre en révèlent les contours. C’est ce que nous allons vous livrer à travers notre lecture et notre entretien avec Guillaume Jobin.
Bien sûr, le livre retrace les principaux grands chantiers menés sous l’ère du Roi Mohammed VI jusqu’à présent. Diplomatie marocaine, changements politiques, économiques et sociaux, et système de gouvernance. Tous ces chantiers sont relatés de manière fouillée, analytique, et anecdotique à la fois, ce qui n’enlève rien au plaisir de la lecture. Le livre révèle des informations méconnues sur le Roi Mohammed VI, sur le Maroc, autant qu’il éclaire autour de situations vécues et quotidiennes. Le livre dresse un portrait sans fioritures du Roi et du pays, louant le louable et exposant les défaillances. Et il se déroule suivant des thématiques qui sont les grands chantiers du Souverain. En voici un aperçu.
Afrique, France et diplomatie chérifienne :
Le premier aspect de la diplomatie marocaine qu’abordent les auteurs est le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine (UA). En commençant par le constat suivant : « la stratégie africaine actuelle du Maroc est née de la volonté de Mohammed VI de revenir dans les instances internationales où se réglera pacifiquement et juridiquement la question du Sahara, à commencer par l’UA, mais aussi la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ». Cette réintégration marque le début d’une phase diplomatique primordiale.
Et bien plus, comme l’affirme Guillaume Jobin : « parmi les pays qui ont une influence en Afrique, on peut compter l’Afrique du Sud, le Maroc, et l’Algérie, c’est tout. Le Nigeria est 10 fois plus riche mais il n’a pas ce poids politique qu’a le Maroc. Ce dernier a un poids politique donc économique, donc militaire. Le Maroc est autant un pays arabe qu’européen qu’africain, vu que nos confrères nous considèrent parfois comme des ‘blancs’ « .
La diplomatie marocaine en Afrique est empreinte de spécificités. L’événementiel en est un outil phare, soutiennent les auteurs, qui ont scruté le profil d’un des hauts responsables sur Linkedin. « Il ne se passe pas trois jours sans colloque, congrès, séminaire, assemblée réunissant des Africains au Maroc, à Rabat, à Marrakech, à Dakhla, etc. Sans compter les initiatives privées ou associatives des ONG, des instances internationales ou marocaines, comme l’Africa Women’s Forum », déduisent-ils. De plus, la coopération s’étend également au-delà de l’économique. Comme il est possible de lire sur les pages du livre, « les bancs des universités marocaines sont aujourd’hui très accessibles à la jeunesse africaine. Près de 100.000 étudiants subsahariens poursuivraient leurs études dans les établissements marocains publics et privés ». Les conditions de vie sont accessibles, le climat est clément, l’octroi des visas est souple.
Pour G. Jobin, « le Maroc est l’une des seules diplomaties dans le monde qui a un objectif politique affirmé, clair et net. Demandez à la France, par exemple, pourquoi elle se trouve au Maroc ? Peut-être parce qu’elle y a des lycées, des investissements, parce que c’est une ancienne colonie, mais politiquement, elle n’a aucun objectif ». Par la même occasion, il s’agissait d’amorcer une deuxième vitesse de déclenchement pour que le Maroc atteigne ses propres objectifs diplomatiques, lui qui avait longtemps servi ceux des autres pays, affirment les auteurs.
La diplomatie chérifienne, là où elle va, s’impose. Guillaume Jobin décrit le Maroc comme un pays qui « n’hésite pas à rappeler la France à l’ordre », quand il le faut. Historiquement, il explique cela dans son livre par quelques présidences contemporaines : « la diplomatie sous Nicolas Sarkozy a eu les yeux de Chimène pour les États-Unis, tandis que sous François Hollande,(…), on a eu tendance à considérer le Maroc à travers le seul prisme algérien,(…). Devant ces contextes peu favorables, le Roi a pris les devants. On le vit s’imposer à l’Elysée quelques jours après l’investiture de François Hollande, probablement pour lui rappeler que le Royaume pèse plus sur le plan économique pour la France que la moitié des vingt-deux régions françaises ».
Outre l’Afrique et la France, la diplomatie marocaine gagne du terrain partout. En commençant par les récents pays qui ont retiré leur reconnaissance à la pseudo-rasd après une opération diplomatique qui a ratissé large. Le Roi Mohammed VI reste le premier diplomate du Maroc, et il semble tout aussi à l’aise avec ses différents homologues. Proche des monarchies anglaise et espagnole, il entretient de bonnes relations avec les présidents les plus difficiles comme Vladimir Poutine et est très proche des Chefs d’Etat arabes.
Le Maroc comme entreprise :
Le livre aborde, dans son 5ème chapitre, l’économie marocaine d’un point de vue bien particulier. Le Maroc y est décrit par les auteurs comme une entreprise, dont le Roi est le « boss ». Le chapitre débute ainsi : « le « Boss », au sens de « patron » d’entreprise, c’est le nom affectueux, mais respectueux que donne au Roi la bourgeoisie des affaires au Maroc. Celle-ci parfois conçoit le pays comme une sorte de multinationale dont le siège serait à Rabat ». Tout commence déjà avec Hassan II, « Hassan II adopta alors, sans jamais exprimer vraiment, une politique économique libérale qui permis au pays alors à vocation agricole, de décoller économiquement », relatent les auteurs. Cette vocation agricole demeura jusqu’à présent, une des vocations économiques principales du Maroc, mais elle demeure entachée de plusieurs disparités.
Pour pallier à ces disparités, les auteurs remarquent une double mesure de développement économique au Maroc. A la fois « l’investissement public massif dans les régions les plus reculées : l’Oriental, les provinces du Sud, le Souss », et de « grands projets initiés par le Royaume sur le sites plus attendus, tels que le port de Tanger Med, les autoroutes, les vastes programmes de rénovations urbaines, la Marina de Casablanca, l’aménagement de la vallée du Bouregreg, et le train à grande vitesse ».
Sur le plan continental, le livre cite le périple royal en Afrique, en 2018 où de nombreux accords de coopération et de plusieurs projets conjoints ont été signés, à l’instar du gazoduc Nigéria-Maroc, la construction d’une méga-usine de fertilisants en Éthiopie ou encore les projets de valorisation agricole du continent africain. Les auteurs affirment que « pour appuyer la coopération africaine, côté Maroc, l’appel aux majors du secteur privé ne s’est alors pas fait attendre », de plus, « le secteur des télécommunications, le monde financier et des assurances représentent eux aussi des enjeux décisifs du pari marocain sur la région africaine ».
Monarchie constitutionnelle :
Le livre s’intéresse également aux faits de 2011, lors de l’éclatement du Printemps arabe. Les auteurs citent que malgré les événements de 2011, les manifestations traduisaient à la fois les maux du peuple, mais aussi leur profond attachement à l’institution royale. Dans une logique descriptive, les auteurs affirment que « les manifestants demandaient seulement au Roi d’appliquer un système plus juste et plus démocratique », mais qu’en même temps, « les slogans faisaient enfin part d’un mécontentement vis-à-vis du Secrétaire particulier de Sa Majesté, Mounir El Majidi et du principal conseiller et ami d’enfance du Roi, Fouad Ali El Hima, tous deux accusés d’être responsables de tous les maux du pays ». De ce fait, le Roi fait preuve de beaucoup de réactivité. Le Souverain annonça donc une réforme constitutionnelle accompagnée d’un référendum, une « concession immédiate » qui lui « fut bien accueillie par la classe politique marocaine ainsi que par la presse nationale ». Bien plus, ce fût une concession qui réussit à calmer les tensions sociales et à sauver le Maroc de l’instabilité où se sont retrouvés plusieurs de ses voisins suite au Printemps arabe. Cela n’échappe pas aux auteurs qui estiment que « les grandes réformes qui ont été avancées dénotent une volonté radicale d’évolutions clairement exprimée parmi lesquelles : la consécration constitutionnelle de l’identité amazighe, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives, le renforcement du système des Droits de l’Homme sur les plans politique économique, social et culturel ».
Dans la mare des événements politiques et des débordements peu gracieux des politiciens, « le Cabinet royal sert d’abord de secrétariat au Roi, mais aussi, comme en Grande-Bretagne, de ‘shadow cabinet’, de contre-pouvoir permettant de lisser les éventuelles errances du Gouvernement. Un pouvoir chambre qui dépasse largement les prérogatives des conseillers du président français qui doivent se contenter d’un rôle de liaison avec les grands pôles du Gouvernement », écrivent les auteurs. Ils dépeignent le Cabinet royal comme « le lieu où se dessinent les stratégies nationales de longue haleine, tant pour les investissements majeurs que pour la diplomatie et la défense. Trois sujets qui sortent des prérogatives accordées au Gouvernement ». Rappelons que le Roi règne dans un pays avec une majorité islamiste dans le gouvernement. Non pas que cela soit un obstacle, mais le bilan gouvernemental et politique des islamistes est un fiasco signé. Le néo-conservatisme qui émane du parti au pouvoir est en totale contradiction avec les valeurs contemporaines qui visent à porter le Maroc vers plus de modernité, adoptées par le Roi Mohammed VI.
En sérieux « Boss », le Roi n’a jamais hésité à utiliser ses propres ressources pour la chose nationale urgente, prioritaire ou exceptionnelle. Dans une anecdote, citée par les auteurs, « lorsque le Maroc était le pays invité d’honneur au Salon du livre de Paris, en 2017, le budget de plus d’un million d’euros fut payé directement par le Souverain, d’après le ministre de la Culture de l’époque, Mohamed Amine Sbihi ». Le Palais, de ce fait, reste discret, mais efficace. Des anecdotes similaires et peu ou pas connues du public, il y en a d’autres dans le livre, qui les cite avec une admiration à peine voilée pour le Roi. Le lecteur ne peut s’empêcher non plus, de s’en émouvoir.
Même sur le plan politique, la Main Royale sait secouer les choses qui en ont besoin, tant sur le plan international que national. Guillaume Jobin l’affirme, « ce n’est pas pour être cynique, mais force est de constater que tout ce qui bouge au Maroc, bouge parce qu’il y a la main royale derrière. Par exemple, tout ce qui est éducation, justice, santé, droits, libertés publiques et privées. Dans le même sens, tout ce qui se porte encore mal, c’est parce que le Roi n’y a pas encore touché ». Le constat y est et il est véridique. Plusieurs chantiers de réforme comme la reconnaissance d’enfants nés de liaisons illicites, ou encore l’avortement, s’il n’avaient pas été initiés par le Roi Mohammed VI, n’auraient pas vu le jour.
Il est ainsi clair que l’espoir de voir des réformes se produire est intrinsèquement lié à l’intervention du Roi. Jobin utilise dans ce sens le mot « imposer », « le Roi peut imposer des lois qui vont contre l’avis des populations ».Certes peu de dirigeants ont ce courage d’imposer des réformes. Il poursuit plus loin avec un exemple en France : « Mitterrand a pu abolir la peine de mort contre l’avis de deux tiers des Français », une réforme qui semble aujourd’hui somme toute banale.
Le Roi tendance :
Pour Guillaume Jobin, l’image du Roi Mohammed VI est absolument différente par rapport à celle reflétée par son père, feu Hassan II. « Hassan II s’intéressait à son image à l’extérieur en tant que dirigeant à l’occidentale, comme Churchill ou de Gaulle. Il y a réussi. Pour le Roi Mohammed VI, c’est tout le contraire. Il ne cherche pas systématiquement à donner une image de lui à l’extérieur sauf auprès de personnes qui l’intéressent, comme les chefs d’État africains et les Marocains résidant à l’étranger. Il ne cherche pas forcément à projeter une image de lui ailleurs, il ne tweete pas tous les jours, et ne donne pas de conférence de presse à l’international. Sa ‘non-communication’ est en fait une communication ». Le livre cite également un artiste plasticien anonyme, par l’une de ses expressions : « le Roi ne suit pas l’opinion, il la fait ! ».