L’Algérie, qui a installé un contexte de répression massif ciblant quotidiennement des militants des droits humains, des opposants, des journalistes et des blogueurs critiques à l’égard du régime, vient de se prononcer sur l’affaire Pegasus et s’en prend au Maroc. Dans un pays où une centaine de personnes sont emprisonnées pour des faits liés aux libertés individuelles, cette sortie ne manque pas d’amuser.
L’Algérie a exprimé, jeudi 22 juillet, sa «profonde préoccupation» à la suite de révélations sans fondement dévoilées par un consortium de médias (dont Le Monde) selon lesquelles le Maroc aurait eu recours au logiciel Pegasus. Une étude très contestée qui a poussé le Maroc d’attaquer en diffamation Amnesty International et Forbidden Stories devant le tribunal correctionnel de Paris.
«L’Algérie exprime sa profonde préoccupation suite aux révélations (…) faisant état de l’utilisation à large échelle par les autorités de certains pays (…) d’un logiciel d’espionnage dénommé Pegasus contre des responsables et citoyens algériens», affirme le ministère des affaires étrangères dans un communiqué. Des récriminations venant d’un pays où Internet fait l’objet d’un contrôle croissant, touchant à la fois les activités des médias en ligne et des blogueurs critiques à l’égard du pouvoir, et mobilisant tout un arsenal juridique répressif, au point qu’une une réforme du code pénal a été adoptée en avril 2020 visant à «criminaliser» la diffusion de fausses nouvelles. Le texte liberticide a été dénoncé comme une grave menace à la liberté d’expression et de presse par plusieurs organisations de défense des droits humains.
Quelques semaines seulement, le régime algérien a dénoncé un éditorial du journal Le Monde «empreint d’une hostilité inouïe à l’égard d[u] pays, de ses institutions et de ses symboles, grossièrement intitulé : l’Algérie dans l’impasse autoritaire», relevant «les expressions subjectives usitées dans le papier telles que le régime, façade civile aux militaires, réflexes autoritaires et répression massive, relèvent, en effet, des clichés éculés, véhiculés et ressassés sans cesse par un nombre de médias». Les révélations du Monde ne sont donc bonnes que lorsqu’elles ciblent le Maroc ?
Pire encore, en octobre 2020, le régime a adopté un projet de décret destiné à mieux «encadrer les activités des médias en ligne». Il y est notamment prévu que les sites électroniques soient «exclusivement» hébergés en Algérie. «Toutes les ressources (matérielles, logicielles, humaines, création, exploitation) nécessaires à l’hébergement d’un site devront être également en Algérie». Un texte dénoncé par les activistes des droits qui affirment que le pouvoir politique veut exercer directement sa tutelle sur les médias, à travers la concentration et la financiarisation des médias pour assoir toutes les formes de sa domination : économique, politique et médiatique.
Lé régime algérien a déclaré «condamner vigoureusement cette inadmissible atteinte systématique aux droits de l’Homme et libertés fondamentales qui constitue également une violation flagrante des principes et normes régissant les relations internationales», dénonçant une «pratique illégale, malvenue et dangereuse». Le même régime, faut-il le rappeler, qui a bloqué plusieurs sites d’information, installant le verrouillage du paysage médiatique indépendant, en ligne notamment, et l’offensive contre la liberté de la presse et d’expression.
Le régime algérien avait mené une offensive de taille à l’encontre du site Casbah Tribune et nombreux sites d’information qui ont subi une violente censure par les autorités en 2020, à l’instar de Radio M, Maghreb Emergent, Interlignes, L’Avant-Garde et TSA (Tout sur l’Algérie). Reporters sans frontières (RSF) a contesté régulièrement les intimidations contre la liberté de la presse en Algérie, condamnant «vigoureusement la censure de médias libres et indépendants».
Cette énième surenchère contre le Maroc survient après qu’Alger eut décidé récemment de rappeler son ambassadeur à Rabat pour «consultations» à la suite de déclarations de l’ambassadeur du Maroc aux Nations unies en faveur de l’autodétermination du «vaillant peuple kabyle». Une ligne rouge pour Alger qui bride depuis des décennies velléité indépendantiste de la Kabylie, région berbérophone frondeuse du nord-est de l’Algérie.
L’Algérie figure à la 146e place (sur 180) du classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF, un recul de cinq places par rapport à 2019 et de vingt-sept places par rapport à 2015.






