«Entre 2015 et 2020, le PIB algérien s’est effondré de 40 % (en dollars) alors que, dans le même temps, la population croît de 1 million de jeunes par an» note Pierre Vermeren pour expliquer la mauvaise passe actuelle du régime algérien.
Dans un entretien accordé au Figaro pour son édition de 7 octobre, Pierre Vermeren, Pierre Vermeren, professeur d’histoire des sociétés berbères et arabes contemporaines à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, affirme que le regain de tensions entre l’Algérie et Paris, malgré la volonté d’apaisement de Paris, renferme plusieurs causes enchevêtrées.
«Les raisons sont nombreuses. D’abord, le régime algérien ressuscite des ennemis historiques, et la France en est un. Il a également réactivé son hostilité à Israël, à travers la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, et Alger s’en est violemment pris au mouvement d’autonomie pour la Kabylie» note l’historien.
Pour lui, «l’Algérie sort d’une période de confinement qui a duré presque deux ans. Et elle se retrouve dans une situation similaire à 2019, à la fin du Hirak, marquée par une grande contestation populaire restée en suspens, qui interroge la légitimité du régime, le fonctionnement de l’État, et pose la question démocratique. Le tout dans un terrible contexte économique. Entre 2015 et 2020, le PIB algérien – directement indexé sur le prix des hydrocarbures – s’est effondré de 40 % (en dollars) alors que, dans le même temps, la population croît de 1 million de jeunes par an. Dans ce contexte, la recherche de boucs émissaires est un classique» a-t-il détaillé.
M. Vermeren rappelle aussi quelques réalités : «l’Algérie a toujours été contre la projection française au Mali. Si elle l’avait exceptionnellement tolérée en ouvrant son espace aérien, elle vient de refermer la parenthèse, certainement avec l’aval des Russes, présents au Mali. Enfin, l’Algérie a demandé à la France un mea culpa supplémentaire pour la colonisation, or Emmanuel Macron vient de le donner aux harkis, bêtes noires du régime algérien. Ajoutons que le président français s’est heurté à un mur politique et idéologique après avoir multiplié les déclarations bienveillantes afin de se réconcilier avec l’Algérie en début de mandat.»
Pour M. Vermeren, «les Franco-Algériens sont très remontés contre le pouvoir algérien, comme l’indique l’appel à la manifestation parisienne du 10 octobre prochain. Dernière hypothèse, sachant la situation très difficile en Algérie, et anticipant un éventuel réveil des oppositions, Emmanuel Macron veut montrer qu’il prend ses distances avec le régime.»
Selon l’historien, «la légitimité du régime algérien tient à sa victoire politique contre la France coloniale et cela a été enseigné ad nauseam aux Algériens. Mais, dire cela au régime algérien aujourd’hui, c’est renoncer à une réconciliation immédiate avec le pouvoir en place. Depuis l’indépendance, le régime se légitime en affirmant qu’il a vaincu deux ennemis au cours de son histoire : le colonialisme, puis le djihadisme» affirmant que «comme les groupes dirigeants algériens sont fragilisés par la situation politico-économique, et que les dirigeants actuels ne peuvent plus se prévaloir de la légitimité révolutionnaire d’un Abdelaziz Bouteflika ou d’un Houari Boumediene, elles tentent de conjurer le sort et de maintenir l’existant. Or, avec le passage des générations, il faudrait reconstruire un pacte social, ce qui ne peut pas se faire sans le peuple ou ses représentants.»
Pour lui, «la situation économique terrible dans la région et l’absence de perspective poussent les autorités à chercher des ennemis extérieurs pour créer un choc nationaliste mobilisateur en sa faveur ». Il indique pour conclure que «la situation est volatile et la réponse à votre question dépend d’inconnues, dont le prix du gaz. Personne en France ne veut se brouiller durablement avec Alger. Mais les relations entre les deux pays se réduisent au strict minimum, à peine décongelées après deux ans de Covid. Parmi les contentieux diplomatiques, ajoutons le rapport de force instauré par Emmanuel Macron sur la question des visas avec le Maghreb. Il a précisé que la mesure vise la classe dirigeante algérienne, mais, en dehors des élites et du regroupement familial, personne n’a de visa – les conditions d’obtention sont drastiques.»