L’instruction de ne pas interdire l’importation des matières premières vitales tout en soumettant les autres à autorisation préalable, décidée par Abdelmadjid Tebboune lors du conseil des ministres, dimanche 20 octobre, soulève une question fondamentale : comment l’Algérie peut-elle espérer soutenir une industrialisation endogène avec une telle dépendance envers l’étranger ? Selon des chiffres de la Banque mondiale, plus de 70 % des matières premières industrielles en Algérie sont importées, ce qui démontre un manque de capacité pour le pays à développer des chaînes de valeur locales, et pose des interrogations sur la pertinence d’un discours sur la «promotion de la production nationale» dans ce contexte.
La soumission des importations à une autorisation préalable est souvent un mécanisme bureaucratique qui peut engendrer des retards et des inefficacités, freinant les entreprises nationales dans leur prompt accès aux intrants nécessaires. Cette mesure permet à court terme protéger de certaines industries locales, croient savoir les officiels algériens; mais à long terme, le manque d’accès fluide aux composants étrangers nuit à l’adaptation des entreprises algériennes, qui peinent déjà à s’aligner sur les standards internationaux. «Une telle régulation pourrait même alimenter des pratiques de corruption, un problème récurrent dans les systèmes à autorisations multiples», selon un rapport du FMI.
Les réserves algériennes de change s’effondrent
L’argument selon lequel la limitation des importations permettrait de protéger les réserves de change est contestable. Selon les données de la Banque d’Algérie, les réserves sont tombées à environ 44 milliards de dollars en 2023, contre près de 200 milliards en 2013. Cette baisse dramatique résulte principalement de la chute des prix des hydrocarbures, une source de devises sur laquelle l’Algérie demeure très dépendante. La réduction des importations peut temporairement alléger la pression sur les réserves, mais elle ne résout pas le problème de fond : la faiblesse de la diversification économique du pays.
Au lieu de simplement limiter les importations, l’Algérie devrait, selon des experts, investir massivement dans des secteurs non liés aux hydrocarbures tels que l’agriculture, les services, et les énergies renouvelables. Des études du FMI estiment que la diversification économique pourrait augmenter de 1 à 2 % la croissance annuelle du PIB sur le long terme, tout en réduisant la vulnérabilité externe. Les rapports internationaux critiquent l’absence de vision économique claire dans les décisions officielles algériennes. S’il est effectivement nécessaire de contrôler certaines importations pour éviter les fuites de devises, encore faut-il identifier les secteurs clés à mettre en valeur. Actuellement, l’Algérie n’a pas un plan industriel fiable qui définirait quels secteurs bénéficieront d’un soutien étatique, ni comment développer une autonomie locale dans la production de biens intermédiaires et finis.
Plusieurs économistes algériens craignent que «limiter certaines importations pourrait avoir des répercussions négatives sur le marché du travail et le pouvoir d’achat des Algériens.» Pour eux, «si les matières premières deviennent plus chères ou moins accessibles, les industries locales devront faire face à une hausse des coûts, ce qui pourrait entraîner des licenciements, une réduction des salaires, voire des faillites dans certains secteurs.» L’Algérie, croient-ils savoir, «doit se détourner des solutions temporaires et s’orienter vers des réformes structurelles profondes qui favorise une montée en gamme de ses industries.» Sauf que le régime algérien, peu soucieux du renforcement des capacités locales, s’est avéré être incapable de protéger l’économie algérienne et de stabiliser les réserves financières du pays.