Kais Saied est en tête du scrutin présidentiel selon des enquêtes d’opinion, mais les résultats officiels ne seront connus que lundi. Pour ce troisième scrutin, le taux de participation a atteint 39,20% à 15h30 (14h30 GMT), deux heures et demi avant la fermeture des urnes.
Les Tunisiens ont voté dimanche lors du scrutin entre un discret professeur de droit et un magnat des médias charismatique, libéré de prison plus tôt cette semaine. La Tunisie, semble prête à mener à bien sa deuxième élection présidentielle. D’après l’institut de sondage Emrhod, M. Saied, 61 ans, a obtenu 72,5% des suffrages, contre 27,5% seulement pour son adversaire, M. Karoui.
Ce sondage, massivement diffusé en Tunisie, a été publié une heure environ après la fermeture des bureaux de vote, à 18h00 locales (17h00 GMT). Selon des analystes, le mécontentement généralisé à l’égard de la crise économique du pays – un facteur clé qui a conduit les Tunisiens à la rue en 2011, a déterminé le choix des Tunisiens. «L’énorme déception suscitée par l’absence de réformes économiques est primordiale dans l’esprit des électeurs tunisiens», a déclaré Safwan Masri, professeur de politique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à la Columbia University de New York.
Le taux de participation à 15h30, heure locale, était d’environ 39%, soit le même taux que lors de l’élection du 15 septembre et est bien inférieur aux 64% d’électeurs inscrits qui ont voté lors du scrutin présidentiel il y a cinq ans. Certains Tunisiens surnomment M. Saied, 61 ans, «Robocop» pour sa raideur et sa présentation sombre. Quant à M. Karoui, 56 ans, il est surnommé «Michael Corleone», une référence à la fois à sa subtilité et aux accusations de corruption qui le suivent depuis des années.
Les deux hommes se sont affrontés vendredi soir dans un rare débat télévisé au cours duquel Saied – qui ne fait pas partie d’un parti politique, s’est adressé à l’auditoire en arabe classique, tandis que Karoui, s’exprimant dans le dialecte local, a promis d’aider les couches démunies. M. Karoui dirige la chaîne de télévision privée Nessma depuis 2002, mettant à profit sa réputation caritative au cours des dernières années avec une émission populaire dans laquelle il distribue des appareils électroménagers aux familles dans le besoin.
M. Saied, en revanche, était relativement inconnu pendant des années. Il avait enseigné le droit constitutionnel dans une université de Tunis jusqu’à sa retraite en 2018 et le lancement de sa campagne politique. Son manque relatif de charisme joue peut-être à son avantage, selon des analystes, qui estiment que son attrait repose sur l’idée qu’il est incorruptible et qu’il a l’esprit civique. Il plaide contre une Assemblée élue au suffrage universel direct. Il souhaite que des élus locaux en soient les votants. Il déconsidère l’homosexualité, est contre sa dépénalisation, contre l’égalité hommes-femmes dans l’héritage et dit chercher à limiter le travail des ONG étrangères dans le pays.
M. Karoui a été arrêté pour corruption à la veille de la campagne électorale en août. Il s’agissait, selon les analystes, d’un stratagème pour endiguer sa popularité. Il reste sous enquête et ne peut pas voyager à l’étranger. Mais s’il remporte le second tour, Karoui «bénéficiera de l’immunité et toutes les poursuites judiciaires à son encontre seront suspendues jusqu’à la fin de son mandat», a déclaré le professeur de droit constitutionnel Salsabil Klibi.
La Tunisie a frôlé le chaos au cours des années qui ont suivi la révolution, alors que les forces islamistes et laïques se battaient pour prendre les rênes pays. Sa transition est apparue très risquée en 2013 après l’assassinat de plusieurs dirigeants de gauche, prétendument par des extrémistes islamistes, ce qui a accentué la polarisation entre les factions politiques du pays. Pourtant, le pays a repris son souffle, en grande partie grâce aux efforts des forces de la société civile (à qui le prix Nobel de la paix de 2015 a été décerné) et des cadors politiques qui ont conclu un accord de partage du pouvoir, décrit comme improbable, en 2016. Cet accord a apporté de la stabilité mais a également bloqué les réformes qui auraient pu contribué à réduire la corruption et à freiner la bureaucratie boursouflée et scléreuse du pays.
M. Saied est considéré comme le favori pour cette présidentielle et bénéficie du soutien du parti islamiste Ennahda, qui a remporté les élections parlementaires, mais sans majorité. Le pouvoir présidentiel est également limité, et les réformes importantes que préconisent les avocats de M. Saied nécessiteraient une majorité des deux tiers au Parlement, qui sera difficile à former, a déclaré Masri. « Il va être un chef isolé car il n’a pas de parti politique », a-t-il déclaré. « Il y a une chance qu’il puisse être un président peu pertinent. » M. Karoui aura également du mal à gouverner efficacement s’il gagne dimanche, a annoncé Youssef Cherif, directeur de l’institut de recherche Columbia Global Centers à Tunis, ajoutant : « le prochain président acceptera donc sa position constitutionnelle, celle d’une figure semi-cérémonielle unissant le pays en temps de crise, plutôt que d’un homme fort et puissant. »