La justice est placée en dehors et au-dessus des partis, mais il apparait que l’électoralisme démagogue s’est joint à la militantomanie aveugle pour réclamer la libération de certains individus soupçonnés de graves crimes, au nom d’un souci d’«apaisement».
Une sortie purement électoraliste qui jongle avec les principes et fait dévier dans les sables le déroulement tranquille de certains dossiers judiciaires. Quelques jours avant la prochaine audience des procès de Omar Radi et de Souleiman Raissouni, fixée au 18 mai, trois formations de l’opposition -Authenticité et modernité (PAM), Istiqlal (PI) et Progrès et socialisme (PPS)- ainsi que par le Parti justice et développement (PJD), à la tête de la coalition gouvernementale ont décidé de se mêler de l’instruction judiciaire en cours dans le cadre des affaires susmentionnées, quitte à doubler le poids du joug que sont contraintes à porter les victimes, par leur couper le dernier accès qu’elles puissent avoir à une entière justice.
«Il est nécessaire de créer un climat général positif fondé sur un apaisement politique et la protection des droits humains», ont affirmé le PAM, le PI et le PPS dans un récent communiqué, une déclaration si soudaine et si grave, qui enfreint le grand principe de la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. Le conseil national du PJD a, lui, évoqué «la nécessité» que soit trouvée «la formule appropriée pour la libération des personnes condamnées dans le cadre de manifestations sociales et des journalistes détenus».
Faut-il rappeler que «les journalistes détenus» affrontent de graves accusations ? Omar Radi est poursuivi pour avoir reçu des financements étrangers, atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et viol. Soulaiman Raissouni, lui, est poursuivi pour attentat à la pudeur avec violence et séquestration. La garantie d’un vrai apaisement est dans les principes et dans l’intégrité de la justice, dans la bonne foi qui la guide, dans la protection franche qu’elle accorde aux victimes, et dans l’énergie avec laquelle elle comprime les crimes ; dans l’esprit public éclairé, dans certaines institutions morales et politiques qui, sans entraver la marche de la justice, offrent une sauvegarde aux tentatives de faire éclore la vérité.
Il y a désordre non seulement par défection, mais par confusion des pouvoirs. Il y a désordre quand les barrières s’abaissent et quand les frontières s’effacent entre l’instruction judiciaire et les l’excès des intempérances ainsi que leurs calculs électoralistes. Le Maroc n’est et ne sera jamais un pays où se tissent entre les pouvoirs qui guident sa vie publique une toile de services et d’obligations.
Selon Idriss Azami, cadre du PJD, «les pressions étrangères» sont insupportables, et qu’il ne faut «recevoir de leçons de personne». En termes plus précis et plus concrets encore : la justice doit être, à en croire le PJD, l’instrument des ambitions, des surenchères, ou simplement des desseins politiques des uns et des autres pour atteindre un supposé «apaisement», et qu’elle cède aux sirènes des adversaires du Maroc, partout disposés à dresser leurs embuscades contre ses institutions. La justice, à en croire Azami, doit se fait l’exécutrice des œuvres basses ou médiocres de certaines ONG d’occasion qui marchandent avec les droits humains.
Plusieurs pétitions anonymes, signées par une soixantaine de personnes, appellent à la remise en liberté provisoire de Radi et Raissouni, sans prendre en considération la situation et les doléances de leurs victimes, lesquelles leurs avocats en appellent au «respect de leurs droits» et à ne pas politiser ou instrumentaliser leurs affaires.
Co-fondateur d’une nouvelle association de défense des droits des victimes d’agressions sexuelles, l’avocat Mohamed Karout l’invoque également, se disant surpris des appels politiques à l’apaisement. «Qu’en est-il des droits des victimes. Ne sont-elles pas des êtres humains?», dit-il à l’AFP.
Il est de plus en plus pressant soustraire les instructions judiciaires en cours à la pression des ONG, mais aussi à la pression électorale, qui ne vaut pas mieux. N’est-elle pas plus brutale encore, avec ses ingérences et ses interventions incorrectes ? Le tapage cessera ; et seule la justice, triomphera, et non les réclamations qui se drapent dans leur orgueil, les erreurs invétérées ou les prétentions excessives.