La manière dont en est conçu le montage du projet de loi de Finances, à partir des dépenses, ressources et déficit dans le cadre des orientations, est symptomatique du type de gouvernance et de la vision gouvernementale-audacieuse ou étriquée- qui présidera aux commandes du Maroc pendant 5 ans.
Ce sont quatre orientations, soit la consolidation des bases de la relance, la généralisation de la protection sociale, le capital humain, et la réforme du secteur public combinées aux hypothèses sur les indicateurs prévisionnels de l’économie, qui ont déterminé le montage de la loi de Finances 2022.
A la lumière des chiffres présentés par Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Economie et des Finances le 25 octobre au soir et des documents relatifs au PLF 2022 disponibles sur le site du ministère de tutelle, les estimations qui ont participé à l’élaboration du projet de loi de Finances (PLF) 2022 reposent sur un certain nombre de contradictions liées à des secteurs majeurs, qu’il faut relever.
Une hypothèse majeure repose sur la récolte céréalière qui impacte toute l’économie marocaine. Estimée par le département de madame Fettah autour de 80 millions de quintaux, cette hypothèse sera compromise s’il continue à ne pas pleuvoir ce mois-ci. Ce chiffre-clé dépend au Maroc de la pluviométrie. Ainsi, l’année dernière il était de 103 millions de quintaux alors que les estimations l’établissaient à 70. Ce qui montre qu’il ne peut être maîtrisé.
D’autres hypothèses renseignent également sur la fragilité du montage financier de la loi de Finances, car, en deçà de la réalité concernant le cours du pétrole et du gaz qui déterminent l’équilibre externe : il mise, pour le gaz, sur une dépense de 450 dollars la tonne, alors que les données mondiales démontrent que son prix actuel est à plus de 800 dollars par tonne. Quant au pétrole, le projet de loi de finances 2022 table sur 65 dollars le baril, alors qu’il s’établit actuellement à plus de 80 dollars.
Dépenses et financement
Interrogé sur la question, Najib Akesbi décortique pour nous les grandes lignes du PLF 2022. Le tableau d’équilibre général concernant le montage des ressources, dépenses, besoins, contraintes et déficit du pays montre une volonté d’accroître les dépenses. Une augmentation des ressources fiscales de 14%, lesquelles reposent principalement sur les impôts indirects, y est prévue. Face à ces augmentations, les dépenses globales du budget général de l’Etat (BGE), les dépenses ordinaires, devraient augmenter de 6,5%. Néanmoins, elles s’avèrent trop timides pour correspondre à une volonté de stimuler fortement l’économie. L’économiste explique qu’une augmentation aux alentours de 15-20%, aurait traduit une volonté du gouvernement d’utiliser le budget pour une politique de stimulation de l’économie et de la demande. Certes les dépenses d’investissement du BGE devraient se situer à 87 milliards de dirhams, alors qu’elles étaient auparavant de 77 milliards, ce qui se traduit par une augmentation de 13,5%. Najib Akesbi rappelle, à juste titre, que les taux d’exécution généralement ne dépassent jamais 70% des annonces.
« Le solde du budget avant amortissement de la dette traduit un besoin en financement de 103 milliards. Cette année, précise Najib Akesbi, le service de la dette atteindra 90 milliards, enregistrant une augmentation considérable de 16% par rapport à l’année dernière. En y ajoutant l’amortissement de la dette, puisque chaque année le service de la dette augmente, le besoin réel de financement du budget général de l’Etat grimpe à 164 milliards, soit 8,5% de plus par rapport à l’année dernière ». Najib Akesbi poursuit l’analyse en affirmant : « C’est cela, à mon sens, qui constitue le véritable indicateur des finances publiques de l’Etat. Par conséquent en comparant d’un côté les dépenses de l’Etat en fonctionnement, service de la dette et investissement et de l’autre côté, les ressources (fiscales, non fiscales, ordinaires), l’Etat est déficitaire de 164 milliards. Ce qui constitue quelque 16% du PIB». Un pourcentage qu’il juge énorme.
Il ressort de ce rapprochement entre ressources fiscales, dépenses d’investissement et dépenses ordinaires qu’une grande partie de ce besoin de financement, ne peut être comblée que par l’endettement. C’est là qu’interviennent les emprunts nouveaux. Avec une prévision de 105 milliards d’emprunts en 2022, il restera un déficit de 59 milliards à combler, soit le besoin de financement résiduel restant après emprunt. Ce sont ces 59 milliards qui sont affichés comme le déficit par le ministère des Finances. A la lumière de ces chiffres, l’équation budgétaire se révèle être problématique, commente Najib Akesbi. Et ce, dans le sens où le Maroc est installé dans une véritable structure déficitaire qui génère les déficits de manière systémique : le système de ressources propres (fiscales) est manifestement insuffisant et inefficace, car il ne remplit pas sa fonction d’autofinancer une partie acceptable.
Le système fiscal en place ne permet de couvrir que 55% des dépenses de l’Etat dans cette loi de Finances. Bien sur, d’autres ressources non fiscales, ordinaires existent comme les privatisations, les dividendes de l’OCP, de Banque du Maroc, elles restent minimes. Elles réussiront peut-être à augmenter ce taux de couverture des dépenses de l’Etat à 65% en étant optimistes, mais cela reste insuffisant. Or rappelle Akesbi, par le passé, dans les années 90, ce taux d’autosuffisance atteignait 85%. Ce ne sont que ces dernières années qu’il a chuté aux alentours de 62%, pour atteindre quelque 54-55% avec la pandémie.
Réforme fiscale
La loi de Finances commence généralement, chaque année, par des textes présentant les changements dans le système fiscal. A défaut d’annoncer, hier, la réforme fiscale espérée depuis tellement d’années, l’attente était réelle concernant une volonté de mise en œuvre de nouvelles mesures.
Force est de reconnaître que la réduction de quelques droits de douanes ou l’introduction de nouvelles taxes écologiques ne répondront pas au besoin pressant d’autofinancement des dépenses de l’Etat.
Qu’il s’agisse des taxes sur les lampes à incandescence, sur appareils ménagers énergivores ou de celle sur le recyclage. Les produits bas de gamme énergivores surtaxés (taxe de 40%) restent les moins chers et demeureront ceux achetés par les plus pauvres. Quant à celle sur le recyclage, ses ressources restent affectées au Budget général de l’Etat alors qu’elles auraient du l’être à un fonds spécial pour avoir un impact réel et financer le recyclage auxquelles elles sont dédiées.
Ces taxes restent dans la logique des impôts indirects, à la consommation.
Les attentes déçues portent également sur l’impôt sur le revenu et sur l’unification des sources de revenu : les sources du capital restent sous-imposées, alors que l’essentiel de l’IR est appliqué sur les salaires. Le barème progressif qui aurait marqué la solidarité n’a pas été pris en compte non plus. Quant à la baisse de l’impôt sur la société de 27% à 28%, elle concerne uniquement les grandes sociétés.
Il en est de même pour les mesures de Contribution Professionnelle Unique (CPU), mise en place depuis l’année dernière, dans laquelle est incluse la cotisation sur l’assurance maladie et destinée aux petits commerçants et artisans. La CPU est toujours soumise à des taux par profession, un système contesté parce que le taux forfaitaire évolue et car il ne prend pas en considération des paramètres déterminants comme celui de la concurrence.
L’autre déception par rapport à cette loi de Finances en matière de justice fiscale, est le cadeau aux sportifs professionnels qui leur accorde un abattement de 90%.
A côté de la loi de Finances, les décisions pendant les 100 premiers jours du gouvernement sont déterminantes pour prendre le pouls de sa disposition à agir. Ainsi est attendue, entre autres, la réforme de la caisse de compensation annoncée dans le programme du gouvernement visant à supprimer les subventions au prix et à distribuer un revenu direct. Rappelons que la caisse de compensation contient encore, depuis la libéralisation des hydrocarbures, le sucre, le gaz butane et le blé tendre.