Après 72 jours d’attente, la composition du nouveau gouvernement a été dévoilée le 9 octobre 2019. Le 17 janvier dernier, l’Exécutif a franchi le cap des 100 jours.
Le nouveau gouvernement a été appelé à agir avec efficacité et en parfaite cohérence, sans couacs ni surenchères politiciennes, au service des chantiers prioritaires du Royaume et des attentes des citoyens. Toutefois les 100 premiers jours restent bien timides. En effet, ainsi que le confirme le politologue et universitaire Mustapha Sehimi, le bilan des 100 jours du gouvernement El Othmani II n’est pas celui espéré étant donné qu’il « donne le sentiment de gérer et de ne pas réformer ».
La nouvelle architecture gouvernementale n’a pas pu parachever les diverses réformes politiques, économiques et sociales tant attendues par les citoyens. Ses réalisations restent modestes comme le souligne M. Sehimi. « Parmi les réalisations du nouvel Exécutif : la Loi de Finances 2020 qui a apporté divers amendements et initié des mesures qui accordent une attention particulière au soutien des politiques sociales », a-t-il indiqué dans une déclaration à Barlamane.com/fr.
Plus encore, ce nouveau gouvernement s’inscrit dans le cadre d’un modèle de développement en réexamen. En effet, le gouvernement dans sa nouvelle mouture devait accélérer les réformes, en cours ou en instance. Il devait également procéder au rétablissement de la confiance en faveur des opérateurs économiques nationaux et étrangers. Toutefois, les réformes structurelles n’ont pas été au rendez-vous. « Aujourd’hui, le financement du RAMED reste aléatoire et la réforme du Code du travail et la loi relative au droit de grève n’avancent pas. De plus, les réformes structurelles prévues dans les domaines de la santé, de l’enseignement, ou de la lutte contre la corruption n’ont pas encore été lancées. En outre, le poids de la masse salariale publique, qui progresse annuellement, dans le PIB est de près de 11% avec un volume global de 114 millions de dirhams. Le gouvernement n’a pas donc réduit ses dépenses publiques », relève M. Sehimi.
Il semble alors que les chantiers lourds de réforme structurelle restent en suspens. La restauration d’un climat de confiance chez les investisseurs n’a pas également été aboutie. « Aujourd’hui, l’économie nationale, opérateurs compris, a besoin de renforcer le climat de confiance pour relancer la dynamique de croissance. Toutefois, on remarque que plusieurs textes qui peuvent relancer cette confiance n’ont pas été adoptés », souligne le politologue. En effet, la Charte de l’investissement, la loi organique pour la fiscalité et la charte des services publics n’ont pas non plus été promulguées. Parmi les textes qui sont toujours en suspens : le Code pénal. En effet, les discussions sur les libertés individuelles ont été lancées depuis quelques mois en raison de plusieurs affaires judiciaires qui ont remis en surface le caractère dépassé de certaines lois du Code pénal, dont la réforme est toujours bloquée au niveau de la Chambre des représentants. En effet, plusieurs points continuent de susciter beaucoup de débats, tels que l’encadrement de l’interruption volontaire de la grossesse, la dépénalisation des relations consenties entre adultes et la question de sanctionner l’enrichissement illicite.
La réforme du Code du travail n’a pas été également finalisée. En effet, ce point a été inscrit à l’ordre du jour du précédent round du dialogue social. Toutefois, il n’a pas encore été discuté avec le patronat et les centrales syndicales. Soulignons que le gouvernement s’est engagé, à travers l’accord conclu avec les partenaires sociaux et économiques en 2019, à ouvrir les discussions sur ce chantier ainsi que sur la publication du décret relatif aux contrats de travail à durée déterminée et la révision des conditions applicables aux contrats de travail temporaire.
Sans aucun doute, le contexte économique actuel est hostile. Ce gouvernement a été appelé à tout miser pour rattraper le train de l’émergence et surtout faire profiter les différents pans de la société de manière équitable des fruits de la croissance économique. La grande tâche que devait assumer cette nouvelle architecture gouvernementale, dans la présente conjoncture, est de relancer l’économie et de restaurer la confiance, ce qui n’a pas été respecté dans ce délai de 100 jours.
Il est également question de manque de rééquilibrage des accords de libre-échange. Le Maroc a signé plus de 56 accords de libre-échange. Ils ne profitent pas équitablement l’économie marocaine. Ce sont les autres pays qui en profitent pleinement. En effet, l’offre exportable du royaume, en dehors des exportations alimentaires, minières et celles des écosystèmes industriels, peine à tirer son épingle du jeu du libre-échange. De plus, ces accords aggravent le déficit budgétaire étant donné que les entreprises marocaines ne sont pas protégées contre le dumping.
En outre, le déficit budgétaire continue de se creuser. Les dépenses évoluent de manière rapide et continue. Pour l’Exécutif, cette rareté des ressources ne peut être palliée que par le recours à l’endettement. Selon la Direction du Trésor et des Finances extérieures, l’encours de la dette extérieure du Trésor, des entreprises et établissements publics et des collectivités territoriales s’élève à 334,95 milliards de dirhams à fin septembre 2019. Il est en hausse de 4,62% par rapport à la même période de l’année 2018 et représente 29,4% du PIB prévu en 2019. Mais le gouvernement El Othmani II n’a pas pris de mesures afin de baisser la dette extérieure du Maroc.
Il est à relever que depuis le début de l’ère des gouvernements islamistes au Maroc, les PLF et Lois de Finances sont dictés par les institutions financières. En effet, le gouvernement actuel n’est pas parvenu à secouer le joug des institutions financières mondiales. De plus, il n’a pas procédé à lancer des discussions afin d’annuler l’accord de la Ligne de Précaution et de Liquidité (LPL) qui pèse sur l’économie marocaine. En effet, la LPL n’est pas de l’argent versé à l’Etat. D’ailleurs, même si le Maroc n’a effectué aucun tirage sur les trois premières LPL, celles-ci ont dû coûter au Trésor la bagatelle de 720 millions de dirhams, sur toute la période de 2012 à 2018.
Rappelons que depuis 2012, sous Benkirane, le Maroc signe la LPL avec le Fonds monétaire international (FMI). D’ailleurs, comme le rappelle l’économiste Najib Akesbi la 4ème ligne de précaution vient d’être renouvelée en juin, qui en fait, en réalité un programme d’ajustement sous forme de conditionnalités : le PLF est une loi qui porte « le sceau de l’orthodoxie financière dans la continuité de ce que le Maroc fait sous l’égide des institutions financières internationales ». C’est ainsi que certaines mesures, selon le changement des stratégies de ces institutions, sont prises en contradiction avec des politiques fiscales antérieures. Et ce gouvernement continue dans la même lignée à accroître l’endettement du Maroc au mépris de sa souveraineté économique.
En outre, le gouvernement remanié n’arrive pas à se réunir pour resserrer ses rangs et conjuguer ses efforts. Il n’est pas mobilisé au sein de sa majorité puisque les groupes de la majorité ne se sont pas réunis. « Il y a un grand problème de solidarité, de collégialité et de coordination gouvernementales », indique M. Sehimi. Ceci pèse sur la crédibilité de ce gouvernement et sur sa capacité à apporter des réformes. Ce gouvernement est également pénalisé par la mise en place de la commission spéciale sur le modèle de développement. Il s’agit d’un gouvernement qui gère mais qui est désavantagé par « ce fantôme dans le placard qui est celui du modèle de développement ».
On ne peut que constater le ralentissement de la dynamique de croissance du Maroc en 2019. En effet, selon un rapport de la Banque mondiale de suivi de la situation économique nationale, l’économie marocaine continue de tourner à un niveau inférieur à son potentiel, le secteur agricole non irrigué contribuant à sa volatilité et les autres secteurs enregistrant une reprise timide. En outre, le PIB réel a atteint 2,7% en 2019, sous l’effet du recul de la production agricole. Cette volatilité économique a influé sur le bien-être des ménages étant donné que près de 9 millions de Marocains sont considérés comme pauvres ou menacés de pauvreté. Pire, les politiques publiques n’ont pas atteint leurs objectifs étant donné qu’elles encouragent le système de rente au détriment d’une industrialisation créatrice d’emplois et de croissance.






