Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Réforme de l’administration, Mohamed Benchaâboun, a assuré, le 20 février dernier, que le Maroc s’engage à franchir la prochaine étape vers un taux de change plus flexible pour sa devise.
Jusqu’à présent, le FMI fait une pression énorme sur les autorités marocaines pour accélérer la flexibilité du dirham. Et il est décidé à employer tous les moyens, y compris à travers le déplacement de la Directrice générale au Maroc, Kristina Georgieva, pour convaincre l’argentier du Maroc et le numéro un du ministère de l’Economie et des Finances de prendre rapidement cette décision.
Deux ans après le lancement de la première phase de la réforme du régime de change, avec « un dirham stable » et « des indicateurs macroéconomiques positifs », le Maroc est prêt à poursuivre son « approche souveraine et progressive » de la flexibilité du dirham, a déclaré Mohamed Benchaâboun lors d’une conférence de presse conjointe avec la directrice générale du FMI et Bank Al-Maghrib.
Malgré la pression du FMI, Mohamed Benchaâboun et Abdellatif Jouahri misent sur la libéralisation progressive du dirham. En effet, le Maroc a longtemps hésité avant de se lancer dans cette libéralisation du taux de change qui comprend plusieurs risques de spéculation. Certains s’inquiètent de la possibilité d’une dévaluation de la monnaie nationale. C’est la raison pour laquelle le taux de change du dirham n’a pas totalement été laissé à la loi du marché. En cas de fluctuations excessives des changes, BAM interviendrait pour ramener le dirham dans les limites fixées.
Najib Akesbi, économiste et professeur universitaire, que nous avons interrogé à ce propos, soutient que le Royaume n’est pas prêt à se lancer dans une réforme de système de change. Et ce, à l’opposé du discours et des chiffres avancés par les institutions nationales. « Depuis les politiques d’ajustement structurel des années 1980, la question de cette libéralisation du régime de change est posée par cette institution financière internationale. En effet, la libéralisation du régime de change est la composante du package du FMI qu’il place là où il va, et là où il place ses recettes », a-t-il indiqué.
Dans son dernier rapport consacré au Maroc, rendu public le 24 janvier, le FMI revient sur ses fameuses conditionnalités qu’il impose au Maroc pour qu’il puisse continuer de bénéficier de la Ligne de Précaution et de Liquidité (LPL). Il consacre surtout une large place au processus de flexibilisation des changes, recommandant un nouvel élargissement de la bande de fluctuation de la monnaie nationale « sans tarder ». Le FMI justifie cette recommandation par « des fins préventives, afin de protéger les réserves, de rendre l’économie plus en mesure d’absorber les chocs extérieurs potentiels et de préserver la compétitivité ». À en croire ce rapport, cette réforme devrait encourager « la diversification des exportations et le développement des PME, ce qui favorisera la création d’emplois et de revenus pour les pauvres et les classes moyennes ».
Soulignons qu’avant d’entamer la première étape de la réforme du régime de change, le Maroc adoptait un régime fixé par Bank Al Maghrib sur la base d’une parité fixe avec rattachement à un panier de devises : 60% de l’euro, 40% du dollar. Ceci avec une bande de fluctuation du dirham de plus ou moins 0,3%. C’est-à-dire que la valeur du dirham évolue dans un corridor de 0,6% au niveau duquel la banque centrale intervient pour acheter ou céder la devise. Avec l’entrée en vigueur du flottement du dirham, son cours se formera sur le marché des changes en fonction de la loi de l’offre et de la demande. Pour la première étape de la réforme du régime de change, la bande de fluctuation du dirham est passée de 0,6% à 5%. Après la deuxième phase de sa réforme du régime de change, Bank al-Maghrib « distanciera » le dirham du panier de cotation et donnera au marché la marge de manœuvre nécessaire pour fixer les taux du dirham. Par conséquent, l’offre et la demande détermineront la valeur du dirham.
Dans ce contexte, le régime de change flottant va entraîner une dépréciation de la monnaie et du coup impacter le pouvoir d’achat des Marocains, relève Najib Akesbi. D’après lui, l’économie marocaine souffre de diverses failles structurelles. « Les transferts des MRE stagnent entre 55 et 60 MMDH depuis 10 ans et ce, en dirhams courants. De plus, les IDE, qui oscillent entre 2 et 3 milliards de dollars annuellement, n’évoluent pas au-delà de 4 milliards de dollars dans le meilleur des scénarios. Je ne pense pas que la libéralisation du dirham permettra de relancer les investissements au Maroc puisque les investisseurs n’attendent pas que cela », souligne l’économiste. Pour Najib Akesbi, les investissements dépendent de tellement d’autres facteurs que du taux de change tels que le climat d’investissement, la politique de formation, les infrastructures ainsi que le niveau de corruption dans l’administration. De plus, l’incertitude sur la cotation de la monnaie renforce l’incertitude sur l’intérêt et ne favorise pas l’expansion des investissements domestiques.
Last but not least, le Maroc pâtit d’un déficit budgétaire structurel. Dans ce cadre, l’économiste explique qu’en cas de dépréciation du dirham, le Maroc sera contraint de s’endetter davantage. En cas de forte dépréciation de la monnaie marocaine, la dette libellée en devises étrangères exploserait. L’impact sur l’inflation n’est pas négligeable car si la cotation du dirham baisse, les ménages les plus fragiles subiraient, de plein fouet, une inflation importée. « De plus, la balance commerciale du Maroc est structurellement déficitaire depuis 1974. Depuis lors, nous n’avons jamais eu une année où nos exportations ont dépassé nos importations. La combinaison de tous ces éléments est ainsi un signal fort que le Maroc n’est pas encore prêt à la libéralisation ou la flexibilisation du dirham. Rien ne légitime la réforme du régime de change puisque le Dirham est lié à un panier de devises qui fluctuent. Nous avons donc déjà, en quelque sorte, un régime de change intermédiaire, qui est assez adapté au Maroc « , explique-t-il.
La décision de libéraliser le taux de change du dirham affecterait ainsi négativement la performance de la balance commerciale et la détériorerait davantage. Alors que le FMI, le ministère de l’Economie et BAM annoncent que la libéralisation du dirham sera bénéfique pour le commerce extérieur du Maroc, les expériences internationales précédentes ont prouvé que cette étape a été désastreuse pour les pays qui ont déjà adopté cette stratégie monétaire. En effet, certains pays asiatiques, comme l’Indonésie et la Thaïlande, qui ont déjà mis en place ce plan, ont connu une crise financière suffocante et un déficit budgétaire à la fin des années 1990. Il se peut, ainsi, que ce nouveau régime de change du dirham, qui est plus flexible, plombe l’économie marocaine au lieu de renforcer sa résilience et sa compétitivité.






