Les ambassadeurs français au Maroc et en Algérie ont chacun de son côté prononcé un discours à l’occasion de la fête nationale de leur pays. Analyser les deux textes offre une perspective intéressante sur les relations franco-marocainesd’une part et franco-algériennes d’autre part. Les ambassadeurs Christophe Lecourtier à Rabat et Stéphane Romatet à Alger ont abordé des thèmes variés, allant des relations bilatérales aux défis mondiaux, dans ce que l’on pourrait appeler des discours convenus. Mais, malgré la prépondérance de formules de circonstances et le ton résolument optimiste de rigueur, les nuances sont perceptibles dans la tonalité et les thématiques abordées dans chaque discours.
Sur le plan bilatéral, Christophe Lecourtier à Rabat a mis l’accent sur le réchauffement entre les deux pays, louant la sagesse du Roi Mohammed VI tout en saluant le Maroc comme un facteur de stabilité. Il a mis en avant la nécessité d’une coopération renforcée dans divers domaines, y compris la transition énergétique et la souveraineté industrielle. Lecourtier a insisté sur la nécessité de renforcer les relations franco-marocaines pour affronter les défis globaux, consolider la confiance mutuelle et encourager des partenariats stratégiques.
L’ambassadeur n’a pas manqué de saluer la diplomatie royale : « connecter l’Afrique à l’Afrique, l’Afrique à l’Europe, voilà l’une des plus ardentes ambitions de notre temps c’est la vision de Sa Majesté le Roi Mohamed VI ».
De son côté, l’ambassadeur français à Alger, Stéphane Romatet, sur un ton chaleureux, a mis l’accent sur les jeunes talents algériens et la communauté franco-algérienne, symboles de la force de la relation bilatérale. Au titre des défis communs, il a mentionné les crises au Sahel, les enjeux climatiques et les défis migratoires, soulignant la nécessité de coopération. Au chapitre de la mémoire et de l’histoire, il a évoqué les blessures historiques tout en appelant à regarder vers l’avenir et à travailler ensemble.
Les deux discours, de Lecourtier et Romatet, ont été marqués par un ton optimiste. Tous deux ont souligné l’importance des liens historiques et humains. Ils ont appelé à l’intensification de la coopération dans divers domaines. Cependant, contrairement à son collègue en Algérie, Lecourtier s’est gardé de commenter les résultats des récentes élections législatives en France. Romatet, pour sa part, a déclaré : « la France traverse une période politique qu’on pourrait qualifier pour le moins de compliquée, mais elle a dimanche dernier rejeté clairement la funeste tentation de l’extrême, cette tentation qui aurait aussitôt plongé la relation avec l’Algérie dans une tragique régression ». L’ambassadeur ne l’a pas précisé, mais il visait bien évidemment l’extrême droite. Lui appartenait-il de se départir de la réserve à laquelle sont normalement astreints les ambassadeurs, c’est aux autorités françaises d’en décider. Le Maroc n’étant pas concerné, Lecourtier, à raison, s’est abstenu.
À la « joie d’accueillir une assistance aussi nombreuse » de Lecourtier a répondu « le plaisir de vous accueillir ce soirtous ici nombreux, si nombreux, peut-être jamais d’ailleurs n’avez-vous été aussi nombreux » de Romatet.
Viennent ensuite les remerciements, les louanges et les preuves d’affection mutuelle. Lecourtier s’est réjoui : « nous avons commencé à retisser la toile d’une nouvelle histoire » et « rouvert des perspectives et … ravivé bien des espérances ». De son côté, Romatet a noté avoir été « accueilli avec tant de bienveillance, avec votre sens unique de l’hospitalité et de l’amitié », ajoutant de façon assez (involontairement ?) sibylline « ici, je le sais maintenant, chaque rencontre en Algérie est toujours une promesse ».
Viennent ensuite les formules panégyriques, « intimité », « communauté de destin », « confiance réciproque inébranlable » pour Lecourtier, qui s’aide d’un proverbe marocain « le sang ne deviendra jamais de l’eau » ; « relation unique » « proximité », « densité à nulle autre pareille », « destin intimement lié » par « l’intensité, l’imbrication de nos liens humains et familiaux » pour Romatet.
Sur le volet historique, la foi en l’avenir est présente des deux côtés, mais à l’issue d’une « petite histoire » pour l’un, et d’une « histoire déchirante et meurtrière » pour l’autre. Lecourtier s’est demandé « comment pouvions nous supporter que l’histoire, je devrais dire la petite histoire, travaille à séparer le Maroc et la France ? » En écho, Romatet a martelé : « l’histoire nous a séparés, elle nous a opposés, elle nous a déchirés, elle nous a meurtris et parfois dans la nuit de nos souvenirs, cette histoire vient encore nous hanter mais j’ai la conviction que la géographie et l’avenir ne peuvent que nous rassembler ».
Quant au type de relation bilatérale, les perspectives et la vision vues de Rabat ou Alger ne sont pas les mêmes.
À Rabat, « Nous entendons demeurer ce que nous n’avons jamais cessé d’être, le partenaire constant respectueux et à l’écoute du Maroc », a affirmé Lecourtier, ajoutant « aujourd’hui alors que le royaume s’apprête à célébrer les vingt-cinq ans du règne de Sa Majesté je n’ai aucun doute que la France saura manifester avec le plus haut degré de clarté l’importance cardinale de sa relation avec le Maroc et exprimer sa volonté de renouveler notre engagement historique à s’écouter ».
Lecourtier a dit avec force « plus que jamais nous avons besoin l’un de l’autre, d’autant que c’est au sud que se joue notre avenir ».
Autre ton à Alger : « nous avons besoin l’un de l’autre », a dit Romatet, mais il a cru devoir ajouter, maladroitement, « en tout cas la France a besoin de l’Algérie ». Les internautes algériens ont aussitôt crié victoire. Ils ont aussi vilipendé unprédécesseur de Romatet, Xavier Driencourt, qu’ils ont accusé de tous les maux. Attendons les mémoires de Romatet, tout en ayant une pensée émue pour les ambassadeurs dans certains pays et leurs discours, ainsi que pour les splendeurs et les misères de leurs fonctions.
Romatet a d’autre part, émis un vœu qui donne une image nette de la difficulté de la relation officielle entre Paris et Alger: « au-delà du lien entre nos deux sociétés, donner toute la vigueur nécessaire à la relation entre nos deux Etats, entre nos deux gouvernements ».
L’ambassadeur Lecourtier, contrairement à son collègue d’Alger, a fait deux constats extrêmement positifs sur son pays d’accréditation et son rôle dans la région:
– « alors que tout est vacarme ici et là, le Maroc regarde l’avenir avec foi, porté par le sentiment serein de son destin » ;
– « l’histoire et sa vocation naturelle font du Maroc tout à la fois un avant-poste du continent et l’une des plus grandes portes ouvertes vers l’Afrique » ;
Sur ce registre, Romatet n’a pu mentionner que les efforts conjoints au Conseil de sécurité de l’ONU.
Plus important encore, Lecourtier, dans une allusion limpide, a déclaré : « Qui ne saurait le voir, des bords de la Méditerranée jusqu’aux confins du Sahara, le Maroc est facteur de stabilité d’apaisement et de développement mais il est beaucoup plus encore ».
Autre différence notable, dans le texte de Lecourtier, on peut relever une réflexion qu’on pourrait qualifier de philosophique sur l’état du monde et le rôle de la France ; rien de tel dans l’allocution de Romatet, qui est restée factuelle.
Pour finir, faut-il signaler à la presse des services algériens qu’à Rabat comme à Alger, la Marseillaise a été jouée à l’occasion. À Rabat, les deux hymnes nationaux ont été interprétés par le chœur de chambre du Maroc dirigé par Amine Hadf. À Alger, c’est Adlane Guemrouche, un « jeune baryton », qui a interprété, « avec inspiration et émotion », selon Romatet, les deux hymnes nationaux. A « gorge déployée » ?