La liste du nouveau gouvernement, tant attendue, a été dévoilée au grand public le 9 octobre dernier et ce, après 72 jours d’attente. Une liste composée de 23 ministres et ministres délégués en plus du secrétaire général du gouvernement. Le nombre de portefeuilles a été ainsi réduit d’un tiers.
Il s’agit donc d’un gouvernement très resserré et recentré puisque plusieurs départements ont été fusionnés sans oublier ceux qui ont disparu de l’organigramme gouvernemental. Que signifie donc ce resserrement ? Et comment peut-on interpréter la fusion ainsi que la disparition de plusieurs départements ministériels dans le cadre de cette nouvelle architecture gouvernementale ? Réponses avec Rachid Lazrak, expert en droit constitutionnel et spécialiste des affaires parlementaires et partisanes.
Est-ce que le resserrement de l’organigramme gouvernemental va permettre de se centrer sur les dossiers prioritaires et favoriser la convergence et les complémentarités ? Va-t-il également permettre de mieux clarifier les responsabilités de chaque ministère de côté ?
Tout d’abord, l’architecture gouvernementale de chaque pays traduit, indubitablement, son programme gouvernemental. Par conséquent, on pourrait bien deviner que la réduction des portefeuilles ministériels vise à regrouper plusieurs secteurs pour que le gouvernement puisse mieux concrétiser ses objectifs ainsi que ses orientations pour son nouveau mandat.
S’agissant des responsabilités de chaque ministère, il faut savoir que ce sont les décrets relatifs aux attributions et à l’organisation des nouveaux ministères qui fixent les règles d’organisation des ministères et des départements ministériels, ainsi que la répartition des attributions et des moyens entre leurs administrations centrales et les services déconcentrés. Ainsi, il faut attendre que les prochains Conseils de gouvernement adoptent ces projets de décrets pour déterminer si cette nouvelle architecture gouvernementale saura mieux clarifier les responsabilités de chaque ministère. D’ailleurs, ces décrets permettront de définir la nature des relations entre certains ministères avec leurs ministères délégués comme l’exemple du ministère délégué auprès du ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Va-t-il, donc, entretenir des relations de rattachement ou de subordination avec son ministère de rattachement ? Qu’en est-il du ministère d’Etat chargé des Droits de l’Homme et des Relations avec le Parlement ? Va-t-il englober dans un de ses départements la dimension liée aux « relations avec la société civile » alors que l’installation du Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative est prévue prochainement ? Tant de questions se posent, à l’heure qu’il est, sur les relations entre les ministères délégués et les ministères de rattachement sans oublier les départements qui ont été supprimés suite au nouveau remaniement ministériel.
Il faut donc que le gouvernement valide les projets de décret, dans les jours à venir, lors de ses prochains conseils hebdomadaires pour que les attributions et l’organisation des nouveaux ministères soient bien déterminées pour éviter tout chevauchement étant donné que ce sont ces décrets qui vont permettre de lever le voile sur l’avenir des départements qui ont disparu, à savoir « la communication », « l’industrie », « les relations avec la société civile », « les affaires générales et la gouvernance » et « l’investissement ».
Comment peut-on interpréter la fusion ainsi que la disparition de plusieurs départements ministériels dans le cadre de cette nouvelle architecture gouvernementale ?
On note que les départements fusionnés [ndlr : fusion des secteurs de l’économie, des finances et de la réforme de l’administration + le regroupement de la « culture » et de la « jeunesse et sports » + « l’économie verte » avec « l’industrie »] ont les mêmes cibles, les mêmes instruments d’intervention ainsi que des dossiers structurants en commun. Ceci témoigne aussi de la volonté du Maroc de donner la priorité à la régionalisation avancée. En effet, le discours royal adressé à la Nation à l’occasion du 66ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple avait pointé du doigt un retard dans la mise en œuvre du projet de la régionalisation avancée. C’est pour cela que plusieurs compétences ont été transférées aux directions régionales, conformément à la nouvelle architecture gouvernementale.
Concernant la disparition du ministère de la Communication, elle constitue un pas en avant vers le développement de la liberté de la presse au Maroc. Aujourd’hui, ce sont des journalistes élus, au sein du Conseil national de la presse, qui auront la mission de gérer le secteur de la presse au Maroc.
Quant à la disparition du département de l’investissement, elle s’explique par l’existence de plusieurs centres d’investissements à l’exemple de l’AMDIE (Agence Marocaine de Développement des Investissements et des Exportations), des Centres Régionaux d’Investissement (CRI) ainsi que de la Commission interministérielle des investissements. Aujourd’hui, le Maroc table sur la régionalisation avancée en tant que nouveau mode de gouvernance territorial. C’est aux régions de gérer aujourd’hui leurs investissements et pas au gouvernement.
Dorénavant, l‘Etat ne s’occupera que du modèle macroéconomique puisqu’il compte céder les volets de la microéconomie aux régions et ce, selon ses nouvelles orientations qui misent sur le système de la régionalisation avancée. Pour ce faire, le gouvernement va doter plusieurs structures [ndlr : l’AMDIE, les CRI, la commission interministérielle des investissements ainsi que le Conseil national de la presse] de ressources financières et de compétences pour qu’elles puissent prennent en main leurs nouvelles prérogatives.
Ces instances existantes vont se voir ajouter donc de nouvelles attributions mais je pense qu’elles seront guidées par le gouvernement pour qu’elles puissent mener à bien leurs missions que ce soit en matière des compétences ou de gouvernance, voire même les ressources financières. Il faut s’attendre à de nouveaux projets de décrets pour trancher sur la question de la gestion probable future de ces secteurs tout comme les projets de décrets relatifs aux attributions et à l’organisation des nouveaux ministères.
Depuis l’annonce de la suppression de plusieurs départements, ces questions tournent en boucle : que va-t-il advenir de ces départements ? Quel sera le sort dévolu à leurs fonctionnaires ?
Il faut savoir que tous les agents et les fonctionnaires publics appartiennent à la fonction publique de l’État quelle que soit leur affiliation sectorielle. Ils seront sûrement affectés à d’autres bureaux relevant de la fonction publique. Je trouve que ce débat ne doit pas être lancé pour le moment étant donné que d’un point de vue légal, ils ne relèvent pas uniquement des départements et du ministère qui ont cessé d’exister mais ils sont attachés directement à l’Etat.
Il semble alors que l’avenir du remaniement ministériel dépend, à l’heure qu’il est, des décrets qui fixent les attributions et les prérogatives de chaque département ministériel et de chaque instance, nouvellement, chargée de s’occuper des départements qui ont disparu de la nouvelle architecture gouvernementale.