Il y a bien une chose qui saute aux yeux dans le nouveau rapport d’Amnesty International (AI). C’est l’écart patent relevé par barlamane.com entre les différentes versions dans la publication de ses rapports, ou du moins celles en Anglais, Arabe, Espagnol et Français. Faisons une légère parenthèse sur le rang mondial qu’occupent ces langues et sur le nombre de personnes qui les parlent et qui sont susceptibles d’être atteintes par les documents édités d’AI et autres organismes internationaux : en pole position, l’Anglais est parlé par 1,348 milliard, 2, le Mandarin (1,120 milliard) 3, le Hindi (600 millions) 4, l’Espagnol (543 millions) 5, l’Arabe (247 millions) 6, le Bengali (268 millions) 7, le Français (267 millions).
Dans ce contexte, un organisme international jaloux de sa réputation de baromètre des droits humains, doit faire attention à toutes les copies qu’il rend.
Il n’échappe pas au lecteur un changement de taille, un revirement à 180° même dans la question du Sahara et dans le traitement amène jusque-là de la question vis-vis d’Alger : contrairement aux rapports antérieurs, les camps de Tindouf sont (enfin et) justement mentionnés sous le chapitre Algérie. L’organisation internationale continue de les citer dans son sous chapitre consacré au Sahara « occidental » dans la rubrique Maroc. Néanmoins, l’avancée majeure est qu’Amnesty International se rend compte que la géographie ne peut être changée par sa seule volonté. Tindouf n’est pas au Maroc, du moins depuis les frontières dessinées par l’ex-colon français.
Mais il y a une contradiction dans le même rapport 2022 dans les quatre langues : sous la rubrique Maroc, il n’est point mention de réfugiés des camps mais sous l’onglet Algérie, les Sahraouis de Tindouf sont toujours mentionnés en tant que tel.
Ce manque d’unification de la terminologie dans le même rapport quelle que soit la langue d’écriture à quelques pages d’intervalles, c’est au minimum un manque de sérieux assorti d’un brossage de poils algériens. Pourquoi brossage de poils algériens et pas marocains ? Car pour la première fois en les incluant dans le chapitre « Algérie » , AI, non seulement leur ôte la « position de partie » à part entière dans le Sahara « occidental », mais en plus désigne la responsabilité algérienne de facto et de jure, en ce sens qu’ils résident en territoire algérien et non en territoire indépendant. En enlevant aux camps les prérogatives d’Etat, elle enlève aux résidents de Tindouf une citoyenneté à part entière. Ce qui est un grand pas en avant et un aveu d’Amnesty International de sa partialité passée dans sa vision du différend autour du Sahara et dans le traitement des droits humains dans la région. Elle se range ainsi également du côté de la légalité internationale car le statut de réfugié exige la mise en œuvre des droits qui en découlent, en exécution de la ratification de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et du Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967. Dans ce contexte, AI reconnaît que ceux de ceux qui sont installés dans ces camps depuis plus de quatre décennies vivent plutôt une privation directe de leurs droits civils et politiques, ainsi que de leurs droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
Si dans les trois versions occidentales sous la rubrique « Maroc » ainsi que le montrent les captures écrans du rapport ci-dessous, il est fait mention des camps du polisario (مخيمات), dans le rapport en arabe, il sont clairement qualifiés de casernes/campements militaires du polisario à Tindouf (معسكرات). Ainsi le choix de la terminologie montre clairement la nature de ces camps qui ne sont pas ceux de réfugiés mais de l’armée algérienne ou de milices aux ordres du régime algérien.
On aurait pu saluer cette reconnaissance et cette réévaluation par Amnesty International de la situation des camps de Tindouf si elle l’avait rapportée de la même manière dans les autres langues.
Dommage, car reconnaître à la face du monde ses erreurs ne fait qu’ajouter du crédit à un organisme quels que soient ses (mé)jugements, par contre éditer des versions différentes dans le même rapport selon l’interlocuteur ou des versions différentes selon une langue et donc selon une « ethnie » est discriminatoire, en plus de sujets à interprétation politiques, stratégiques et autres …
A barlamane.com, on s’interroge s’il s’agit d’un début de changement d’appréciation de ce dossier par AI, d’un début de divergence entre les composantes de l’organisation, ou tout simplement d’un manque de coordination (et donc de sérieux et de crédibilité) entre les différentes équipes rédactionnelles ?
Images des rapports AI 2021, les camps de Tindouf sont intégrés uniquement sous chapitre « Maroc » et non « Algérie »
Images des rapports AI 2022, les camps de Tindouf sont intégrés au chapitre « Algérie » et différence de qualificatif selon la langue et selon le chapitre « Algérie » ou « Maroc«