Le Conseil supérieur des Oulémas a affirmé dans un communiqué, au sujet de son avis concernant la question de l’avortement, que les dispositions du Code pénal relatives à cette question ne connaîtront aucune modification « sauf ce qu’exige l’intérêt et permet l’Ijtihad ».
Le débat sur un assouplissement de la pénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et des libertés individuelles au Maroc s’est accéléré dernièrement, vu l’imminence de la réforme du code pénal prévue ce mois-ci.
Lundi dernier, le secrétariat général du Conseil supérieur des Oulémas a précisé dans un communiqué que les dispositions contenues dans le Code pénal (chapitre VIII, section I, de l’article 449 à l’article 458) sont la seule référence concernant la question de l’avortement. Ainsi, selon ledit Conseil, ces dispositions ne connaîtront aucune modification « sauf ce qu’exige l’intérêt et permet l’Ijtihad » soulignant que chaque partie autorisée pourra réviser son avis, dans le cadre permis par la loi.
Le communiqué du Conseil supérieur des Oulémas n’a pas tardé à susciter des réactions hostiles de la part du tissu associatif qui a pointé du doigt les propos dudit Conseil qui, selon les militants associatifs, pourraient par la suite entraver le bon déroulement des discussions actuelles sur la modification des dispositions contenues dans le Code pénal concernant la question de l’avortement.
Pour Saida Drissi, militante pour les droits de la femme, le débat sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et l’assouplissement des lois répressives sur l’avortement court depuis de nombreuses années. « Malheureusement, les corps des femmes sont hypothéqués par la sphère religieuse et ce, même si l’IVG est un droit de santé publique. Je pense que le débat autour de la question du droit à l’avortement s’inscrit dans la tension résultant du choc entre la domination masculine et l’émancipation des femmes. Nous sommes donc dans une société patriarcale qui opprime les droits des femmes. Ainsi, afin de se libérer, il faut adopter une loi qui prend en considération les conventions signées et ratifiées par le Maroc quant aux libertés individuelles », a-t-elle expliqué.
Toutefois, il faut savoir que le Conseil supérieur des Oulémas n’a pas à se substituer à la fonction de législation qui appartient au Parlement étant donné qu’il ne s’agit pas d’une institution dotée de la fonction de législation. « Si demain, le parlement veut faire de l’ijtihad et aller plus loin, non pas pour les quatre critères retenus d’avortement, mais pour le réexamen de la situation de la femme, il a complètement le droit de re-préciser les conditions dans lesquelles l’avortement doit pouvoir être fait pour préserver la situation de la femme », explique Mustapha Shimi, professeur de droit et politologue. Pour lui, la position du Conseil supérieur des Oulémas est une position conservatrice qui ne traduit pas précisément un esprit « d’ijtihad » dudit conseil et qui ne prend pas du tout en compte l’esprit d’ijtihad qui caractérise les principes de l’islam.
Par ailleurs, la position exprimée par le Conseil supérieur des Oulémas ne prend pas en considération les mutations et les réalités de la société marocaine. « Il y a un gros problème social qui est celui de l’avortement. Chaque jour des milliers d’avortements sont effectués. En effet, l’IVG préoccupe de plus en plus de Marocains. Car, les chiffres déjà inquiétants datant de 2010 avancés par l’association AMLAC (Association marocaine de la lutte contre l’avortement clandestin) et qui étaient de 600 à 800 avortements par jour sont aujourd’hui dépassés. Selon un rapport de l’ONU, l’on serait monté à 1.200 par jour. Il faut donc qu’il y ait une politique publique qui implique tous les décideurs politiques et qui prend en considération cette situation alarmante », précise M. Shimi.
Le communiqué du Conseil supérieur des Oulémas laisse poser plusieurs interrogations surtout que les notions de « l’intérêt » et de « l’ijtihad » ne sont pas définies. « Quand le Conseil parle de l’intérêt, il s’agit de l’intérêt de qui ? De l’intérêt de la société ? Sinon celui des femmes qui pratiquent cet avortement ? Ou bien du camp conservateur ? Il faut donc tout d’abord préciser l’intérêt de qui dans ce communiqué. Or, l’intérêt bien compris d’une nouvelle politique d’avortement est de prendre en compte les recommandations de la commission qui a soumis un rapport au Monarque à ce sujet tout en prenant compte de l’état de santé des femmes », fait savoir Mustapha Shimi.
Ce qui est demandé aujourd’hui n’est pas la dépénalisation de l’avortement mais plutôt l’encadrement et la sécurisation de l’IVG et ce, conformément aux cas d’avortement autorisés : à savoir le viol, l’inceste, un handicap mental ou une malformation très grave du fœtus et en cas d’un danger pour la femme. « A ce niveau, le tissu associatif milite pour que le concept de la santé soit considéré au sens large, tel que défini par l’OMS (Organisation mondiale de la santé), à savoir la santé psychologique, la situation matérielle et les problèmes que cela peut poser par la suite », conclut le politologue.
Pour sa part, Samir Oulkadi, professeur du droit constitutionnel à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales-Mohammedia, a indiqué à Barlamane.com/fr que le Conseil supérieur des oulémas s’est exprimé concernant le débat sur la légalisation de l’avortement, appelant à “l’ijtihad” et réaffirmant son adhésion aux conclusions de la commission royale créée en 2015. « Il faut savoir que ce conseil est apparu pour la première fois dans la Constitution avec l’article 41 de la Constitution marocaine de 2011. Présidé par le Monarque, il a le monopole des « consultations religieuses (fatwas) devant être officiellement agréées ». Suite à cela, je pense que ce communiqué ne reflète que sa position et ne sous-entend rien d’autre. Sans aucun doute, la question de l’avortement au Maroc est conditionnée par des paramètres religieux mais aussi par les mutations que notre société connait actuellement. Il faut donc que nos politiques publiques accompagnement ces changements surtout que le Maroc a signé auparavant plusieurs conventions internationales qui prônent l’approche des droits humains », affirme-t-il.
Rappelons que depuis 2015, le Maroc s’est engagé dans un profond débat sur l’urgence d’un assouplissement de la législation de l’interruption volontaire de grossesse. Les grossesses non désirées favorisent les abandons d’enfants. Selon des estimations, jusqu’à 150 enfants sont abandonnés chaque jour. S’agissant des mères célibataires, elles vivent dans l’opprobre tandis que les enfants nés hors mariage, ils sont considérés comme « illégitimes » par la loi. La refonte de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse est donc aujourd’hui prioritaire.