L’opinion publique qui est, depuis quelques mois, le plus violemment agitée, est à coup sûr l’Algérie. Les révélations y pleuvent, révélations de tous les genres, qui jettent de vives lumières, tantôt sur les secrets du régime algérien de l’ordre le plus élevé, tantôt sur les plus noirs mystères du système et ses guerres intestines. Les dernières déclarations d’Emmanuel Macron accentuent l’accablement du pouvoir en Algérie.
«Emmanuel Macron est un adolescent politique», «Emmanuel Macron préfère les cours de théâtre avec une prof pédophile», «Emmanuel Macron est un parfait spécimen du fonctionnaire corrompu», «Ce Macron est fier de dire que l’Algérie ait été une possession française d’autrefois. Il est sans dignité. Il se comporte comme un tuteur qui se conduit de manière condescendante envers son pupille» : depuis ses dernières déclarations sur l’Algérie, le président français Emmanuel Macron fait l’objet des plus vives attaques sur les chaînes algériennes officielles. M. Macron avait en effet affirmé que le régime algérien actuel, révisionniste, appartient à l’ancien ordre des choses, et était animé d’une antipathie violente contre les mouvements populaires qui représentent le changement. Devant une audience, il a rappelé que l’Algérie est une nation récente, confisquée par un pouvoir qui conspire instinctivement contre toute opposition, au point d’employer pour cela les plus inavouables procédés de police.
«On comprend que la question de la nature du régime algérien se pose avec anxiété. C’est un régime dont les représentants conspirent, mentent, se heurtent, se choquent les uns contre les autres. Les passions opposées osent se donner franchement carrière dans des conflits publics qui seraient sans doute manipulés, lesquels trouvent leur force dans des intrigues qui échappent plus facilement et plus longtemps à l’attention, pour aboutir enfin à une déflagration violente» a déclaré en mai un diplomate français sous couvert d’anonymat.
L’Algérie a décidé, samedi 2 octobre, de rappeler «pour consultations» son ambassadeur à Paris, Mohamed Antar-Daoud, a annoncé la télévision publique en citant un communiqué officiel de la présidence algérienne et en précisant qu’un autre communiqué explicatif suivrait.
L’Algérie a justifié ce rappel par son «rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures», précisant avoir pris sa décision à la suite de «déclarations attribuées» au président français Emmanuel Macron.
«À la suite des propos non démentis que plusieurs sources françaises ont attribués nommément au président de la République française, l’Algérie exprime son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures que constituent lesdits propos», a réagi la présidence algérienne, évoquant une «situation particulièrement inadmissible engendrée par ces propos irresponsables».
Les médias algériens avaient indiqué que le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris était motivé par des déclarations du président français lors d’une rencontre, jeudi, avec des descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie, destinée à apaiser «cette blessure mémorielle».
Lors de cette discussion, Emmanuel Macron a estimé qu’après son indépendance en 1962, l’Algérie s’est construite sur «une rente mémorielle», entretenue par «le système politico-militaire». Il y évoque aussi «une histoire officielle», selon lui, «totalement réécrite», qui «ne s’appuie pas sur des vérités» mais sur «un discours qui repose sur une haine de la France».
Dans son communiqué, Alger a estimé que les propos de M. Macron «portent une atteinte intolérable à la mémoire des 5,63 millions (sic) de valeureux martyrs qui ont sacrifié leurs vies dans leur résistance héroïque à l’invasion coloniale française ainsi que dans la glorieuse Révolution de libération nationale».
Elle a aussi critiqué des «appréciations superficielles, approximatives et tendancieuses énoncées en ce qui concerne l’édification de l’Etat national algérien ainsi que sur l’affirmation de l’identité nationale, qui relèvent d’une conception hégémonique éculée des relations entre Etats».
«Cette malencontreuse intervention heurte fondamentalement les principes devant présider à une éventuelle coopération algéro-française en matière de mémoire», a estimé la présidence algérienne, qui y voit «la promotion d’une version apologétique du colonialisme», estimant que «rien ni personne ne peut absoudre les puissances coloniales de leurs crimes, y compris les massacres du 17 octobre [1961] à Paris, que l’Algérie et sa communauté établie en France s’apprêtent à commémorer dans la dignité».
Sous le titre «Macron au vitriol sur le “système algérien”», le média francophone 24H Algérie cite un dialogue entre le président français et une vingtaine de jeunes dont les parents ou grands-parents étaient d’anciens combattants du FLN pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), des harkis (paramilitaires au service de la France) ou des rapatriés.
En réponse à une jeune fille qui a grandi à Alger, M. Macron a confié ne pas penser qu’il y ait une «haine» contre la France «de la société algérienne dans ses profondeurs, mais du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle».
Selon M. Macron, «on voit que le système algérien est fatigué, le Hirak [le mouvement prodémocratie à l’origine de la démission en 2019 du président Abdelaziz Bouteflika, mort récemment] l’a fragilisé». Dans son entretien avec les jeunes, le président français a ajouté : «Je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur.»
Le journal privé El Watan consacre sa «une» de dimanche au «dérapage de Macron», avec une ligne où il estime que «le président français a émis des critiques acerbes vis-à-vis des dirigeants algériens».
Selon les médias locaux, un autre passage des déclarations d’Emmanuel Macron a provoqué l’ire des autorités algériennes. «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question», s’est interrogé le président français, en rappelant qu’il y a eu «de précédentes colonisations».
Sur un ton ironique, il s’est ainsi dit «fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée», en allusion à l’Empire ottoman. «Et d’expliquer qu’on [les Français] est les seuls colonisateurs, c’est génial.»
Les relations entre Paris et Alger étaient déjà tendues avant ce samedi. Mercredi, l’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, avait été convoqué au ministère des affaires étrangères algérien pour se voir notifier «une protestation formelle du gouvernement» après la décision de Paris de réduire de moitié les visas accordés aux Algériens souhaitant se rendre en France.
Paris avait annoncé, mardi, une forte diminution du nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, en invoquant un «refus» de ces pays de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France.
«Cette décision, qui est intervenue sans consultation préalable avec la partie algérienne, comporte l’anomalie rédhibitoire d’avoir fait l’objet d’un tapage médiatique générateur de confusion et d’ambiguïté quant à ses motivations et à son champ d’application», a estimé le ministère algérien pour justifier la convocation de M. Gouyette.
C’est la seconde fois qu’Alger convoque son ambassadeur à Paris depuis mai 2020. À l’époque, l’ambassadeur, Salah Lebdioui, avait fait l’objet d’un rappel « immédiat » après la diffusion d’un documentaire sur le mouvement de contestation prodémocratie Hirak, diffusé sur France 5 et La Chaîne parlementaire.






