Née à Tanger, formée dans la plus prestigieuse école de commerce de Paris et installée à Barcelone, Rosa Cañadas préside la Fondation Tanja, qui œuvre pour changer les discours et promouvoir les relations entre le Maroc et l’Espagne. Elle compte dans son conseil d’administration des personnalités internationales telles que Javier Solana, Josep Borrell, Shlomo Ben Ami, André Azoulay et Omar Azziman. Experte en investissements, fusions et acquisitions, elle conseille des groupes d’entreprises des deux rives de la Méditerranée à la recherche d’opportunités. En visite à Madrid, elle a accordé une interview à EL MUNDO pour parler de la façon dont l’Espagne et le Maroc peuvent reprendre leur relation devenue tendue suite à l’accueil du chef du Front Polisario, Brahim Ghali.
En réponse à la question si l’Espagne et le Maroc pourront surmonter la crise diplomatique, Rosa Cañadas répond sur une note positive et estime qu’une nouvelle période va commencer « où nous devons parler beaucoup plus, avoir plus de complicité. Nous sommes le premier partenaire commercial, il y a mille entreprises au Maroc, et il y a peu de complicité entre les présidents des grandes entreprises des deux pays ».
Concernant les leçons que le gouvernement espagnol doit tirer de ces mois de crise, la présidente pense qu’il y a eu peu d’innocence dans les choses qui ont été faites. « Malgré l’importance de l’Afrique du Nord, nous ne lui accordons pas l’importance qu’elle a. Le Maroc a fait de nombreuses avancées ces dernières années. Ce manque de connaissances rend également les relations tendues de temps en temps ».
Au sujet de Ceuta, elle pense qu’elle est devenue totalement incontrôlable. Et pour ce qui est de l’accueil de Brahim Ghali, la présidente de la fondation ne conteste pas le côté selon lequel cela a été fait pour des raisons humanitaires. « Mais je pense que la manière n’était pas correcte. Si vous faites quelque chose de bien, vous ne le cachez pas, n’est-ce pas ? » relève-t-elle.
Le média est revenu sur le tweet de Donald Trump reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara, où l’experte estime que l’arrière-plan est le fait que les États-Unis voulaient que le Maroc reprenne les relations avec Israël, un pays avec lequel il y avait déjà des liens très importants (10 ministres du gouvernement sont d’origine marocaine).
Afin de redéfinir les relations entre le Maroc et l’Espagne, Rosa Cañadas insiste sur le dialogue, la diplomatie, pour calmer les eaux, qui se sont un peu calmées mais qui bouillonnent encore. « Il faut repartir de zéro, nous sommes dans une situation différente. Il faut profiter de la pandémie, que tout cela ait quelque chose de positif, et faire table rase. Les positions du Maroc et de l’Espagne sont très stratégiques ».
« l’Espagne s’est trompée »
Sánchez a fermé la possibilité de changer la position de l’Espagne en faveur de la thèse du Maroc sur le Sahara et continue de s’aligner sur l’ONU. En réaction à cette position, la présidente se demande ce qui a été réalisé avec les résolutions de l’ONU. « Je pense qu’il faut repenser. D’abord parce que ça n’a pas fonctionné, ils stagnent. Ces gens qui sont là depuis des années et des années [les réfugiés sahraouis des camps de Tindouf], vont-ils continuer comme ça pendant des années et des années ? C’est à l’Espagne de faire un pas car, en fait, si nous sommes là où nous sommes, c’est parce que l’Espagne s’est trompée. L’Espagne ne peut pas se cacher derrière les résolutions de l’ONU, elle doit être un peu plus active, s’il faut modifier certaines choses, les modifier et trouver une solution ».
Quant à la décision par le Tribunal de l’Union européenne d’annuler les accords de pêche et d’agriculture, Rosa Cañadas trouve que c’est une mauvaise nouvelle pour le Maroc mais aussi pour l’Espagne. « Nous avons 92 bateaux qui pêchent au Maroc. Mais cela continue de démontrer les contradictions et les ambiguïtés concernant le Sahara, à la fois en Espagne et dans l’UE ».
Concernant la tension des relations entre le Maroc et l’Algérie et de son évolution, la présidente souligne que « l’attention s’est portée sur le Maroc, qui reçoit beaucoup d’aides européennes pour être, comme on dit, le ‘’gendarme’’ de l’immigration. Et je pense que l’Algérie a dit ‘’ me voici, j’ai aussi quelque chose à dire’’. S’il n’y avait pas eu la question du gaz, personne ne parlerait de l’Algérie ».
Le média aborde le sujet de l’Algérie et le maintien de ses relations avec l’Espagne. « Cela va être compliqué car l’Algérie est un pays plus difficile, plus fermé. Le Maroc ne peut pas non plus dire que l’Espagne doit rompre ses relations avec l’Algérie, je ne pense pas qu’il le fera. L’année dernière, le Maroc avait déjà dit qu’il fallait ouvrir un peu plus les relations avec l’Algérie. Qu’il y ait ce blocus est aussi un frein à la croissance de la zone. Il est vrai que l’un des grands enjeux est le gaz, qui jusqu’à maintenant transitait par le Maroc », fait savoir l’invitée.
Pour ce qui est des élections au Maroc, le média a demandé l’avis de Rosa Cañadas concernant le triomphe du RNI. « Le PJD se considérait comme le parti du peuple, mais ces dernières années avec la pandémie, ils se sont rendus compte qu’ils n’étaient pas à la hauteur et que leurs promesses n’ont pas été tenues. Cela a été une punition parce qu’ils ont perdu les villes-drapeaux » répond-t-elle.
En réponse à la question si le nouveau gouvernement dirigé par le RNI pourra aider à redresser les relations avec l’Espagne, la présidente estime que les membres du nouveau gouvernement sont des technocrates, des gens hautement préparés qui peuvent donner plus d’ouverture au pays, contrairement au PJD qui n’avait pas de relations internationales importantes, et ils peuvent lui donner plus de projection. L’épouse du nouveau chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, est une femme d’affaires féministe militante, et cela peut aussi aider. Les maires de Casablanca et Rabat sont pour la première fois des femmes. « Je vois pas mal ce changement, je pense que le dialogue peut être plus facile par affinité, par culture, avec les pays européens et avec l’Espagne. Il est temps de repartir de zéro dans les relations entre l’Espagne et le Maroc », conclut-elle.






