À en croire le site d’informations Mondafrique, le président des États-Unis, Joe Biden, aurait récemment demandé au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, d’organiser une conférence internationale sur le Sahara. Cette conférence réunirait, avec les parties au différend, les États membres du Groupe des amis du Sahara occidental que sont l’Espagne, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie.
Cette initiative, si elle se confirme, suscite des interrogations à la fois quant à son opportunité et ses objectifs.
La démarche américaine, en effet :
• Se place en dehors du cadre des Nations unies, le seul accepté par le Maroc ;
• Ignore le processus des tables rondes préconisé par le Conseil de sécurité de l’ONU.
L’initiative coïncide avec l’annonce par le même président Biden d’une proposition de cessez-le-feu à Gaza et de retrait de l’armée israélienne. Si les raisons qui poussent le président américain, contraint et forcé, à s’impliquer dans le conflit Palestine-Israël sont claires, après la détérioration de l’image des Etats-Unis du fait de leur soutien inconditionnel à Tel-Aviv, ces raisons sont moins claires dans le cas du Sahara. Les motifs pour lesquels Washington voudrait soudainement essayer de trouver une sortie de crise dans un «conflit de basse intensité» ne sont pas évidents, sauf à les chercher dans des préoccupations électorales. L’initiative intervient en effet alors que cinq mois à peine nous séparent des élections présidentielles aux États-Unis. Traditionnellement, l’année électorale dans ce pays n’est pas une période propice aux grandes décisions et aux bouleversements. Par ailleurs, rien ne justifie que, de tous les conflits qui agitent le monde, le choix du président américain se soit porté accessoirement sur un différend qui, quoi qu’on en dise, ne revêt aucun caractère d’urgence et ne représente pas une menace immédiate.
La proposition du président Biden vise-t-elle réellement, à ce stade, à régler «la question du Sahara occidental» en si peu de temps ou bien n’est-elle qu’une manœuvre de politique intérieure à la veille d’un duel serré avec l’ancien président Donald Trump ? Ce dernier avait reconnu la souveraineté du Maroc sur son Sahara et consacré la prééminence du plan d’autonomie du Maroc. L’administration démocrate, donnons-lui ce crédit, n’est pas revenue sur cette décision, malgré les appels et les pressions multiples. Elle n’a pas, non plus, il est vrai, montré un enthousiasme excessif dans son soutien au Maroc, même si, par ailleurs, il faut reconnaitre que l’administration Biden a su mettre en sourdine les griefsdémocrates traditionnels les plus virulents, se montrant ainsi plus proche de Clinton que de Carter.
Certes, la conférence envisagée pourrait être pour Biden le moyen de reprendre l’initiative sur un dossier en léthargie, aussi insignifiant soit il à l’échelle de la planète, et de s’attribuer, par la même occasion, le mérite d’avoir mis une solution sur les rails, en particulier pour couper l’herbe sous les pieds de Donald Trump. Dans les courses électorales, il n’y a pas de petites victoires. Encore faut-il que la réunion aboutisse à une solution, et qu’elle y parvienne avant novembre 2024, ce qui est loin d’être assuré. La diplomatie américaine ne le sait que trop bien, la question est complexe et compliquée, preuve en est que des diplomates chevronnés, au premier rang desquels un ancien Secrétaire d’Etat américain, James Baker, et un ambassadeur également américain, Christopher Ross, ont jeté l’éponge.
Si le but affiché est de promouvoir une solution politique négociée, le meilleur cadre reste celui du Conseil de sécurité et le moyen le plus approprié est celui des tables rondes, le thème étant celui de l’autonomie. Si l’Algérie continue à s’y opposer, la communauté internationale devra en prendre acte et agir en conséquence. Quoi qu’il en soit, à supposer que la formule d’une conférence internationale ait été imaginée pour accommoder l’Algérie en changeant simplement le nom de la rencontre, le but restant le même, il demeure qu’une réunion élargie ne constitue pas, a priori, le cadre idéal et le plus discret pour des négociations délicates. Une conférence de ce type, fortement médiatisée, ne servirait qu’à redonner une visibilité et une audience sur le plan international au polisario, un groupe désactivé qui, pour exister, se laisse tenter par les démons du terrorisme.
Si elle n’est pas précédée des accords nécessaires, la réunion risque fort d’échouer, comme d’autres tentatives précédentes. Christopher Ross a envisagé en 2011 de tenir «des consultations avec un groupe de représentants respectés du Maghreb sur la question du Sahara occidental.» De son côté, l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a proposé en 2013 de «mobiliser un appui international en vue de trouver une nouvelle formule pour faire avancer les négociations et surmonter l’impasse actuelle» (S/2013/220). Jusqu’au président algérien actuel qui a proposé sans rire d’accueillir à Alger une rencontre Maroc-Polisario. Rappelons également l’appel à la tenue d’une «conférence internationale» (!) qui a été lancé en février 2023 par un collectif constitué en majorité d’Algériens, était un projet mort-né. Même le «mécanisme africain» que l’Union africaine a créé en 2018 lors de la 31e réunion au sommet, à Nouakchott, n’a pas fait beaucoup parler de lui.
Dans ces conditions, il n’est pas dit que la conférence à laquelle appelle Joe Biden aura plus de succès, bien au contraire. Si elle a jamais existé, l’idée pourrait rester sans lendemain, d’autant plus qu’elle est décevante en l’état actuel des informations disponibles car la montagne aura accouché d’une souris.
Depuis les visites de Joshua Harris, sous-secrétaire d’Etat adjoint, au Maroc et en Algérie en septembre et en décembre 2023, on attendait une initiative américaine audacieuse. Harris a déclaré en son temps, que «les États-Unis souhaitent une solution politique durable et digne au Sahara occidental.» Le responsable américain a précisé : «Nous envisageons sérieusement d’utiliser notre influence pour permettre le succès du processus politique de l’ONU» et «la seule solution durable est un processus des Nations unies qui permette aux personnes vivant au Sahara occidental de réfléchir à un apport significatif concernant leur avenir.» Harris n’a pas manqué, à l’occasion, de rappeler que «les États-Unis considèrent la proposition d’autonomie du Maroc comme sérieuse, crédible et réaliste.»
Or, telle qu’elle a été présentée, la conférence préconisée par Biden tendrait à se substituer au Conseil de sécurité et dessaisirait dans une large mesure l’ONU de la question. L’Algérie aurait, toujours selon le site Mondafrique, donné son accord de principe pour la tenue de la rencontre, ce qui semble douteux car cet accord signifierait que le régime algérien admet, enfin, qu’Alger est une partie au différend, alors que l’Algérie s’oppose précisément à la formule des tables rondes pour rester en retrait en s’abritant derrière un improbable statut d’observateur. Pourquoi, peut-on se demander, l’Algérie, qui a torpillé hier le processus onusien de règlement politique, accepterait-elle aujourd’hui de prendre part à la conférence internationale ?
À ce stade, il est difficile de dire à qui profiterait la conférence, mis à part les miliciens du Polisario.
Le Maroc, pour sa part, n’est pas dans l’urgence. Il a su asseoir peu à peu la marocanité de ses provinces du sud et son initiative d’autonomie bénéficie d’un appui international croissant. La rupture du cessez-le-feu en novembre 2021 par le Polisario n’a pas changé la nature du conflit, qui reste marginal. Enfin, malgré ses multiples tentatives, le gouvernement algérien n’a pas réussi à ébranler le Maroc.
C’est dire que Maroc peut s’en tenir à sa ligne de conduite. Rien de bon ne pourrait sortir d’une conférence internationale et les exemples sont nombreux, y compris dans l’histoire nationale, pour le prouver. La question du Sahara ne sera pas réglée par une conférence internationale, à moins que celle-ci n’entérine le plan d’autonomie dans le cadre d’un Maroc uni.