Les récents événements à Sebta, où plusieurs centaines de personnes, en majorité des jeunes, ont tenté de pénétrer dans l’enclave, ont mis en lumière les tensions persistantes concernant la gestion de l’immigration et le statut des enclaves espagnoles au Maroc.
Le porte-parole du gouvernement a annoncé que 3 000 personnes ont pris part à l’assaut, que toutes les tentatives ont été déjouées et que 152 personnes ont été détenues et déférées à la justice, sous l’accusation d’incitation à l’émigration clandestine. Le ministre a également indiqué que les forces de l’ordre ont agi dans le respect total de la loi. Il a, en revanche, été moins inspiré lorsqu’il a déclaré que «le problème de l’émigration existe dans plusieurs pays», mettant en cause des «parties inconnues» qui ont incité les jeunes à se mobiliser en masse.
Pour sa part, le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a salué la collaboration du Maroc dans la gestion de cette crise, soulignant l’importance du maintien de bonnes relations bilatérales pour une gestion efficace de l’immigration.
Cependant, cette approche a été vivement critiquée en Espagne par l’opposition, notamment le parti Vox, qui prête au Maroc des intentions malveillantes et propose des mesures fermes plus restrictives, telles que l’expulsion immédiate des migrants irréguliers.
Au niveau local, Juan Jesús Vivas, président de Sebta a appelé au calme et exprimé sa confiance dans les forces de sécurité espagnoles, en soulignant l’importance de la collaboration avec les autorités marocaines. Cette position reflète la complexité de la situation sur le terrain, où les autorités marocaines et espagnoles doivent naviguer entre les tensions diplomatiques et les réalités quotidiennes de la gestion de l’immigration.
Marasme économique
La situation économique de Sebta est de plus en plus précaire, due à une conjugaison de facteurs. Il y a d’abord l’effort de développement du Maroc, que certains journaux espagnols appellent la «stratégie d’étouffement économique et démographique» des enclaves espagnoles. Selon ces médias, Sebta doit faire face à la concurrence croissante du port de Tanger Med, situé à courte distance, et qui a progressivement détourné une grande partie du trafic commercial qui transitait auparavant par Sebta, privant l’enclave d’une source importante de revenus. En outre, la décision du Maroc de fermer le bureau des douanes de Mélilia en 2018 et de mettre fin au «commerce atypique» (la contrebande) en provenance de Sebta en 2019 a porté un coup dur à l’économie locale, qui dépendait en grande partie de ces activités.
Le Maroc, en effet, a une stratégie concernant le nord, qui s’insère dans le cadre global du développement du pays, et Tanger Med et Nador West Med en sont les réalisations les plus importantes.
Sur un plan purement humain, le coup d’arrêt à la contrebande a permis de mettre fin au spectacle désolant des femmes-mules qui se pressaient tous les jours au passage de Bab Sebta, exposées aux tracasseries et aux humiliations.
La pandémie de COVID-19 a exacerbé les difficultés de Sebta, avec la fermeture prolongée des points de contrôleterrestres et la mise en place de nouvelles restrictions. Ces mesures ont considérablement réduit le flux de visiteurs et de travailleurs, affectant négativement le secteur du tourisme et du commerce de détail de la ville occupée.
Face à ce déclin économique, Sebta dépend de plus en plus des subventions de l’État espagnol, ce qui représente un fardeau croissant pour le budget national. Cette situation soulève des questions sur la viabilité économique à long terme de l’enclave et sur la volonté de l’Espagne de continuer à supporter ces coûts.
Rôle crucial du Maroc
Sebta est un point d’entrée clé pour l’émigration illégale vers l’Espagne et, au-delà, vers l’Europe. La pression migratoire qui s’exerce sur l’enclave reste une préoccupation majeure et la gestion de cette pression est devenue un enjeu central dans les relations hispano-marocaines. Car il devient de plus en évident que la sécurité de Sebta dépend en grande partie du Maroc. Le rôle crucial du Maroc est passé sous silence par le parti d’extrême droite Vox qui s’accroche à des idées révolues et tient un langage offensant à l’égard du Maroc, alors que le gouvernement de Madrid rend hommage à la collaboration de Rabat. Une question qui taraude la population et les autorités de Sebta, et dont on trouve des échos dans les médias, est de savoir ce qui se passerait si le Maroc décidait de lever ou simplement de réduire le dispositif de surveillance autour des enclaves ? La réponse ne fait pas de doute et elle provoque des sueurs froides à Sebta : La situation serait incontrôlable.
Cette dépendance met l’Espagne dans une situation délicate, où elle doit équilibrer ses intérêts sécuritaires avec la nécessité de maintenir de bonnes relations diplomatiques avec son voisin du sud.
Appel d’air
Sebta et Melilla sont des villes occupées et leurs malheurs sont en grande partie dus à leur statut anachronique, lequel statut crée un appel d’air constant qui attire vers les deux villes les candidats à l’émigration, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Cette attractivité disparaitrait du jour où les deux villes cesseraient d’être espagnoles, épargnant du même coup au Maroc les affres d’une immigration sauvage et la mobilisation de ses forces de sécurité dans des déploiements dont les ennemis du Maroc tirent prétexte pour ternir l’image du pays.
À mesure que la situation économique des enclaves se détériore et que les défis liés à l’immigration persistent, il est possible d’envisager un scénario de convergence future entre les intérêts de l’Espagne et du Maroc concernant le statut deces possessions d’un autre âge. L’Espagne pourrait progressivement réaliser que Sebta représente une charge financière et n’a plus l’importance stratégique, militaire ou économique qu’elle a pu avoir autrefois. Les coûts de maintien de la présence espagnole, tant en termes financiers que diplomatiques, pourraient finir par l’emporter sur les avantages.
Du côté marocain, la situation présente un paradoxe certain. Le Maroc se trouve dans la position délicate de devoir protéger des enclaves qu’il revendique comme faisant partie intégrante de son territoire mais qui, pour l’heure, sont encore sous domination étrangère. Cette obligation engendre un coût considérable en termes d’image, tant au niveau national qu’international. À long terme, le Maroc pourrait être moins enclin à jouer ce rôle de « garde-frontière ».
Vers une convergence future ?
Le statut actuel de Sebta et Melilla illustre la complexité des relations hispano-marocaines et les défis auxquels sont confrontés les deux pays dans la gestion de leurs intérêts parfois divergents. L’émigration illégale à Sebta, que le Maroc subit à son corps défendant, n’est qu’un parmi d’autres de ces défis, mais il est en passe de devenir un enjeu central, voire une épine dans les relations hispano-marocaines.
L’avenir des enclaves dépendra de la capacité des deux pays à trouver un terrain d’entente qui respecte leurs intérêts stratégiques tout en prenant en compte les réalités économiques, démographiques et sociales sur le terrain. La recherche d’une solution durable nécessitera probablement une réévaluation profonde des politiques actuelles et une vision à long terme qui transcende les tensions immédiates.