Sylvie Brunel, ancienne présidente d’Action contre la faim a déclaré au Figaro, dimanche 10 septembre, que face aux offres d’aide humanitaire aux arrière-pensées géopolitiques, «il est légitime que le Maroc se positionne en État souverain.»
«C’est une question de souveraineté. Il n’est pas question pour les secours internationaux de se précipiter dans un pays, sauf si celui-ci a failli, comme en Haïti en 2010», a-t-elle pointé.
«Le roi Mohammed VI veut donc garder la main sur son pays. C’est aussi une forme de fierté nationale. Mettez-vous à la place du Maroc (…) En tant que pays émergent, qui se veut interlocuteur de l’Europe et qui aspire à un statut de puissance régionale en Afrique, Rabat veut montrer qu’il est souverain, capable de piloter les secours, et ne pas se comporter comme un pauvre pays meurtri que tout le monde vient charitablement secourir», a-t-elle déclaré.
Pour la responsable, l’efficacité et la rapidité des secours locaux dans une situation de séisme doivent être ponctuels. «Il y a un tel amoncellement de débris que tout se joue dans les premières 24 ou 48 heures. Les actions essentielles sont celles de proximité. Par la suite, sauf cas exceptionnels de personnes bloquées dans des trous d’air ou cavités, les chances de retrouver des survivants s’amenuisent fortement. Le temps qu’arrivent les secours internationaux, il est malheureusement déjà trop tard. Au nom de cette maigre chance de sauver des rescapés, le risque pour le Maroc est de perdre sa souveraineté», a-t-elle noté.
«Et puis, la précipitation des secours lors de tragédies humanitaires est source de nombreux problèmes : l’engorgement, la mauvaise coordination, les routes saturées, ou l’installation de structures que les Marocains ne souhaitent pas forcément (islamistes ou à vocation religieuse par exemple). Les gens sont animés de générosité, mais aussi de naïveté. Toute opération humanitaire est d’abord géopolitique. Les structures humanitaires sont un cheval de Troie pour s’installer, prendre des contacts, montrer qui sont les bienfaiteurs. Rabat refuse d’être un vaste champ d’opérations humanitaires dont il n’aura plus la maîtrise», a-t-elle ajouté.
Si seuls le Qatar et l’Espagne ont reçu un appel de Rabat, c’est «parce que le roi Mohammed VI et l’émir qatari al-Thani sont très proches. Les deux États ont des relations excellentes et se considèrent d’égal à égal. C’est un calcul géopolitique : le Maroc va minutieusement choisir ses partenaires pour ne laisser entrer que des structures très compétentes, avec des savoir-faire particuliers, tels que des chiens renifleurs, qui vont permettre de localiser les dernières personnes bloquées»
Au Maroc, tout le monde est mobilisé
«Les forces civiles et les forces royales marocaines ont été rapidement déployées. Mais elles vont être totalement débordées. Le séisme a touché des zones montagneuses difficiles d’accès. Le problème de sous-développement est énorme au Maroc, pays désarticulé entre des zones ressemblant aux grandes villes européennes, et des villages dans les montagnes avec des écoles qui ne fonctionnent pas, l’absence des services publics, etc. Les forces marocaines n’auront pas forcément la possibilité de sauver des vies ni de reconstruire ensuite. L’après, c’est organiser des abris, réinstaller les télécommunications, l’accès à l’eau potable, faire face au froid… Il faudra des moyens colossaux», a-t-elle conclu.