«Des deux côtés de l’Atlantique, le Front Polisario a pratiquement perdu la bataille narrative sur le Sahara occidental. Les rares représentants américains ayant dénoncé la reconnaissance de la souveraineté marocaine ne consacreront plus de capital politique à cette question. Ailleurs, l’Algérie s’est abstenue de participer au vote du Conseil de sécurité en novembre 2024 sur le renouvellement du mandat de la Minurso, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Sahara. Alger affirme ne pas être partie au conflit persistant sur ce territoire, une posture qui lui permet d’éviter une confrontation directe avec le Maroc», selon une analyse américaine.
Les récents développements juridiques et diplomatiques entre l’Union européenne (UE) et le Maroc, notamment autour du Sahara, risquent de bouleverser les équilibres stratégiques dans la région et d’ouvrir la voie à une influence accrue de la Chine et de la Russie, selon une analyse publiée par The Washington Institute. Si cet arrêt constitue «un coup judiciaire aux relations politiques croissantes entre l’UE et le Maroc», The Washington Institute estime qu’il pourrait également pousser Rabat à renforcer ses relations avec Pékin et Moscou. Déjà, la Russie et la Chine multiplient leurs investissements dans des secteurs clés, tels que la pêche et les énergies renouvelables dans la région saharienne.
Sur le plan stratégique, le rapport souligne que «les États-Unis et l’Europe partagent un intérêt commun à débloquer cette impasse juridique afin de maintenir Rabat dans leur sphère d’influence.» Pour le Maroc, la position européenne reste cruciale, bien que le royaume ait accueilli la décision de manière mesurée. Selon l’institut, cette attitude reflète «la confiance croissante de Rabat dans sa diplomatie», en particulier depuis le soutien explicite de pays comme la France et l’Espagne à son plan d’autonomie de 2007.
«Il est plus probable que le jugement [de la CJUE] pousse Rabat à resserrer ses liens avec la Chine et la Russie à moins qu’une action corrective ne soit entreprise. Cela donne aux responsables des deux côtés de l’Atlantique un intérêt évident à lever cet obstacle», note la même source. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et l’ancien haut représentant Josep Borrell ont publié une déclaration conjointe affirmant que «l’Union européenne a fermement l’intention de préserver et de continuer à renforcer ses relations étroites… dans tous les domaines du partenariat UE-Maroc.» Deux semaines plus tard, les principaux responsables nationaux réunis au sein du Conseil européen ont unanimement réaffirmé «l’importance stratégique que l’Union européenne accorde à son partenariat avec le Maroc.»
Le chef de la diplomatie marocaine a déclaré que Rabat «ne se considère nullement concerné par cette décision.» À titre de comparaison, «lorsque la Cour de justice de l’Union européenne avait annulé un accord de libre-échange avec le Maroc en 2016 pour des raisons similaires, Rabat avait suspendu ses relations diplomatiques avec l’Union européenne. La réaction plus calme observée cette fois-ci reflète la confiance acquise par le royaume grâce aux avancées diplomatiques qu’il a réalisées sur le dossier du Sahara depuis lors», indique la même source.
Une perspective économique pour les États-Unis ?
Alors que la prochaine administration de Donald Trump s’apprête à entrer en fonction, «tout laisse à penser qu’elle s’emploiera à concrétiser davantage cette reconnaissance. Elle pourrait notamment ouvrir un véritable consulat à Dakhla, capitale provinciale, comme promis en 2020 (un consulat virtuel ayant été établi mais sans installation physique). Ce retour de Trump pourrait également débloquer des possibilités lucratives d’investissements pour les entreprises américaines», a-t-on prophétisé.
La Russie et la Chine scrutent l’occasion idoine
Bien que l’engagement du Maroc envers Moscou et Pékin ait historiquement été limité, «la décision de la CJUE pourrait inciter le royaume à se rapprocher de ces concurrents occidentaux. La Chine et la Russie ont discrètement renforcé leurs intérêts au Maroc, notamment au Sahara, en s’intéressant aux ressources locales et en investissant dans le secteur de la pêche côtière. Par exemple, la Russie a récemment renouvelé un accord de pêche de quatre ans avec Rabat, tandis que la Chine prévoit probablement d’intensifier sa présence sur les côtes marocaines à la faveur d’un protocole d’accord signé en 2023 sur la pêche maritime», selon le Washington Institute.
Par ailleurs, Pékin cherche à investir dans les projets sahariens d’hydrogène vert, ayant signé en 2023 un protocole de coopération avec la société marocaine Gaia Energy et la firme saoudienne Ajnan Brothers. «Rabat fera vraisemblablement tout ce qui est en son pouvoir pour collaborer avec tout partenaire, y compris la Chine, prêt à développer des secteurs jugés prioritaires par le roi Mohammed VI, notamment l’hydrogène vert.»
«Des deux côtés de l’Atlantique, le Front Polisario a pratiquement perdu la bataille narrative sur le Sahara occidental. Les rares représentants américains ayant dénoncé la reconnaissance de la souveraineté marocaine ne consacreront plus de capital politique à cette question. Ailleurs, l’Algérie s’est abstenue de participer au vote du Conseil de sécurité en novembre 2024 sur le renouvellement du mandat de la Minurso, la mission de maintien de la paix des Nations unies au Sahara. Alger affirme ne pas être partie au conflit persistant sur ce territoire, une posture qui lui permet d’éviter une confrontation directe avec le Maroc», a-t-on explicité.
Selon la même source, il «est dans l’intérêt de l’Algérie que le Front Polisario engage des discussions de bonne foi sous l’égide des Nations unies. La reprise des négociations est d’autant plus urgente que des rapports récents indiquent que le Front Polisario a juré d’intensifier sa lutte armée.» Pour atteindre cet objectif, «le Maroc devrait fournir plus de précisions sur son plan d’autonomie de 2007. Cette initiative demeure la base la plus crédible pour une solution et pourrait relancer des discussions sérieuses au sein de l’ONU», a-t-on pointé.
Enfin, «la résolution définitive de la question du Sahara sous l’égide des Nations unies est essentielle non seulement pour renforcer les relations euro-américaines avec Rabat, mais aussi pour empêcher que le royaume ne se tourne vers Pékin et Moscou», a-t-on conclu.