Pourquoi le Parti de la justice et du développement remporte-t-il de nouveau les élections législatives au Maroc ? Parti islamiste, il a gouverné avec des éléments d’autres partis durant cinq ans. Ses réalisations sont minces ou inexistantes. La corruption sévit toujours dans la plupart des domaines, l’état de la santé est déplorable et le système de l’éducation est toujours en crise. Ce qui a été réalisé d’important, c’est le roi qui l’a initié et mis en place.
Alors, pourquoi ce parti a-t-il pu avoir 125 députés sur les 395 que compte le Parlement ? Il faut d’abord noter le taux important de l’abstention (43 % ont voté). Ensuite, il faut s’arrêter sur le discours de ce parti populiste et assez démagogue. Le peuple dans son ensemble comprend ce que lui disent à longueur d’année les dirigeants islamistes. Ce qui n’est pas ou plus le cas des partis de gauche, le Parti socialiste, notamment, qui n’a réussi à avoir que 20 députés. C’est une claque aux partis traditionnels qui n’ont pas toujours su s’adresser au peuple.
Il n’y a pas d’islamistes modérés
Le discours du PJD s’articule sur deux niveaux. Le premier est celui de l’évidence, l’hygiène morale, la justice et la foi. Le second est plus profond, celui de l’idéologie. Lors d’un discours préélectoral prononcé à Agadir le 26 juillet 2016, M. Benkiran, Premier ministre et leader de ce parti, fit l’éloge d’un théologien du XIIIe siècle, Ibn Taymyyia (né en 1263 à Harran, en Turquie ; mort à Damas en 1328, en prison).
Ce penseur s’était opposé aux philosophes rationalistes qui prônaient une lecture intelligente, métaphorique et symbolique du Coran et des Hadiths. Il a rejeté Al-Ghazalî et Ibn Arabî, qu’il considérait comme un mécréant. Il a été contre les Mu’tazilas, contre Al-Fârâbî, contre Ibn Sab’in et contre Avicenne. Il incitait les croyants au djihad et méprisait la mort. Son intolérance n’avait d’égale que sa soif de violence. Tout cela rappelle des choses horribles. N’est-ce pas le discours de Daech ? L’incitation au djihad non pas dans le sens de l’effort sur soi, mais bien dans le sens du combat et de la guerre.
Cinq siècles plus tard, un autre théologien, Ibn Abdelwahhab, mettra en pratique les thèses pures et dures d’Ibn Taymyyia. C’est ce qui a donné le wahhabisme, rite pratiqué aujourd’hui en Arabie saoudite, au Qatar et par Daech.
C’est en ce sens que Benkirane, un tribun populaire, a démontré qu’il n’y a pas d’islamistes modérés. La preuve a été donnée par lui-même à peine un mois avant les élections, lorsqu’un imam à Marrakech, Hammad Kabbaj, a fait un prêche où il attaquait une grande dame de la société civile, Aïcha Ech-Chenna, parce qu’elle s’occupe de mères célibataires et autres victimes de viol, et demandait qu’on « tue les juifs partout ». Le wali de cette ville invalida sa candidature « à cause de l’incitation à la haine ». Le PJD apporta tout son soutien à cet imam connu pour faire partie du courant salafiste et rigoriste. À des journalistes qui lui demandaient de s’expliquer sur l’éloge fait d’Ibn Taymiyya, il a répondu en mettant en avant le grand savant qu’il fut sans condamner ses dérives totalitaires.
Dans l’ensemble, le peuple marocain est attaché à l’islam. C’est facile pour un parti politique de s’adresser à la population quand il s’agit de la bercer par le discours religieux, ce que les autres partis de gauche ou du centre n’ont pas su ni voulu faire.
Repli et rhétorique religieuse
Malgré ses résultats médiocres, malgré ses scandales de mœurs (des députés du PJD polygames, d’autres commettant publiquement l’adultère), malgré ses références à un islam fanatisé, malgré ses attaques répétées contre le ministère de l’Intérieur, beaucoup de gens se sont déplacés pour voter pour lui. Cela prouve combien l’islamisation du discours politique est rentable, même si les partis officiellement islamistes sont interdits.
Face au PJD, le Parti de l’authenticité et de la modernité, qui se situe au centre gauche et qui serait proche du palais, a obtenu 102 sièges. Avec les autres partis, il constituera une opposition déterminée. Ni le palais ni les partis progressistes ne peuvent se permettre aujourd’hui de laisser libre cours aux islamistes. Le pays a besoin de réformes, de justice sociale, a besoin d’avoir une politique d’éducation rigoureuse, a besoin de mettre sur pied un système de santé digne et efficace. Les islamistes ont démontré qu’en cinq ans ils n’ont réussi ni à améliorer l’état des hôpitaux, ni à enrayer la corruption, ni à nettoyer le système judiciaire, ni à créer des emplois. Tout le monde sait que, sans le travail immense du roi, le pays ne connaîtrait pas un taux de croissance aussi bon que celui annoncé dernièrement. Finalement, autant le roi est dans la modernité, dans l’ouverture sur le monde, autant ce parti majoritaire est dans le repli et la rhétorique religieuse