Je suis l’enfant adoptif d’un couple diabolique : le mépris et le racisme. Je suis le témoin d’un étrange spectacle où seule figure la honte sous la force du dédain et la plainte des suppliciés. Je ne connais d’accomplissement français, dont le peuple puisse s’exhiber, que celui de la xénophobie et de la discrimination.
Jamais de mon vivant, la volonté d’humiliation ne s’était aussi cyniquement déchaînée. Pour la première fois, notre dignité nous a quittés, las sans doute de s’égarer sur le trottoir abîmé ou nous avons fait notre demeure.
Jour de semaine, (préfecture de Corbeille en banlieue parisienne), 6h du matin. Satisfait d’avoir eu le courage de quitter mon lit bien chaud à 4h30 du matin, c’est un mal nécessaire, m’étais-je dis, je débarque Avenue Général de Gaulle, tremblotant de froid sur le trottoir qui longe le long grillage de ladite préfecture, pour découvrir une file d’attente anormalement trop étendue. Je vais à l’avant de la file pour m’inscrire virtuellement (organisation oblige) – puisque la réelle inscription c’est à l’intérieur de la préfecture qu’elle se fait – quand je découvre que j’ai le numéro 82. Je me range en queue de file, l’air intrigué, comme soupçonnant la bonne blague, je demande à la dame avec la poussette, juste devant, son numéro. Sa réponse eut le mérite de me remettre les idées en place : ‘’81 Monsieur’’. Tant pis, j’attendrai.
Trois heures plus tard, les portes s’ouvrent, il est neuf heures du matin. On nous distribue les tickets ‘’officiels’’, plus de doutes désormais, j’ai effectivement le numéro 82 deux. cinquante personnes entrent et la porte se referme (mesure de sécurité, il faut attendre que certains sortent pour que d’autres puissent entrer). Une dame, noire africaine, portant un bébé dans ses bras, s’approche du Monsieur, tenue ‘’gardien de paix’’, et lui demande de la laisser entrer au chaud, juste pour le bébé. Elle argue qu’elle a un numéro de toute façon et qu’elle ne prendra la place de personne, ajoutant que le document concerne le bébé et qu’elle est administrativement obligée de l’amener. Le monsieur s’agace et lui répond sèchement ‘’Personne ne rentre ! Ni les personnes âgées, ni les femmes avec bébés, ni personne’’.
Une heure plus tard, il est dix heures, la porte s’ouvre à nouveau, on nous dit de partir ! Apparemment la préfecture ne prend que 30 personnes souhaitant déposer un dossier de renouvellement de titre de séjour, et ce quota étant atteint, il faut revenir un autre jour. Les gardiens de paix ponctuent leur manœuvre de dispersion d’une ironie sinon diabolique, du moins cyniquement cruelle : ‘’’il faut venir plutôt mesdames et messieurs, beaucoup plus tôt si vous voulez vos papiers (rires)’’
Le jour même, je reviens à 21 heures, j’ai le numéro 16, j’attends toute la nuit. 5h du matin, la queue se met en place. 9h du matin, les portes s’ouvrent, on distribue les tickets de la préfecture, j’ai le numéro 15, visiblement quelqu’un (et c’est humain) n’a pu supporter le froid de toute une nuit. Treize heures, c’est enfin mon tour (ne nous plaignons pas trop, j’étais au chaud depuis 9h) je me présente pour le dépôt de dossier et malgré toutes les diverses et de plus en plus alambiquées tentatives de la charmante demoiselle en face de moi pour trouver dans mon dossier une faille ou une pièce manquante, il n’en est rien, je l’ai eu ce renouvellement du titre de séjour, au prix d’une nuit d’attente dans un froid glacial. Après tout c’est normal pour un étudiant ingénieur en polytechniques qui est en France, depuis 5 ans, de manière légale.
Si j’étais écrivain, j’écrirais l’horreur de cette maltraitance et les nouvelles promesses que le futur nous prépare. Si j’étais poète, je dirais les rires imbéciles et les pleurs impuissants, l’atroce brouhaha que font les égarés comme moi, tandis que gelés sur le trottoir, ils attendent le coup du sort. Si j’étais peintre, je figurerais le ciel aux couleurs sombres, comme la nuit, comme leur mépris, comme leurs esprits. Mais je ne suis ni poète, ni écrivain ni peintre, seulement un étudiant ingénieur en fin d’année d’études, un égaré, certainement que si la France va mal, c’est à cause des étrangers comme lui. Je me contenterais avec les mots de cette langue de dire les méthodes, les artifices et les ficelles de la Honte.
J’ai cru, peut être naïvement à cette France de la ‘’fraternité’’ fraîche et joyeuse. Il n’est est rien. Et je me demande maintenant, sentant le sol qui se dérobe et l’avenir qui se décompose si j’ai bien fait de venir pour subir un traitement fait de rejet, de mépris et d’humiliation.
Étranger en France, journalier du temps qui passe, je n’ai d’avantages à critiquer les valeurs de la France, je n’ai de titre à écrire que celui du témoignage, et mon témoignage ici est celui d’une barbarie, infondée, impitoyable d’un autre siècle. Je ne crois ni à l’impossible, ni au mal radical, mais je soutiens qu’il y a de l’Intolérable, à quoi il est urgent, sans relâche de résister.