La tribune, publiée soixante ans jour pour jour après le putsch d’Alger, et signée par «une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier d’autres militaires», appelle le français président Emmanuel Macron à défendre le patriotisme. Ces militaires accablent le «délitement» qui frappe selon eux la patrie et se disent «disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation».
La tribune de militaires qui appelle au rétablissement de l’autorité du politique et à faire face au «chaos croissant» régnant à leurs yeux en France, publiée le 21 avril par Valeurs actuelles, n’en finit pas de faire créer la polémique, alors que des voix rappellent que tout régime démocratique postule la prééminence du pouvoir civil sur les militaires. Ces derniers jugent que la France n’a que très peu remédié à une carence mortelle : la fuite du pouvoir politique devant ses responsabilités. Ils considèrent les orientations gouvernementales comme impopulaires et dressent un condensé des besoins et des revendications qu’ils réclament.
Le choc a poussé le pouvoir en France a déclaré que l’armée est, dans ses tréfonds, légaliste et attachée à l’ordre républicain. Jean Castex, le premier ministre, avait condamné «avec la plus grande fermeté» la tribune, l’estimant «contraire à tous [les] principes républicains», ainsi que sa «récupération politique tout à fait inacceptable» de la part de l’extrême droite. Les signataires de cette tribune se disent prêts d’intervenir face au «chaos croissant» qui règne à leurs yeux en France. Selon eux, parmi lesquels vingt-cinq généraux à la retraite, «l’heure est grave, la France est en péril». «Nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation», ajoutent-ils dans ce texte mis en ligne, soixante ans jour pour jour après le putsch des généraux d’Alger.
En France, on redoute que cette tribune opère un tournant majeur dans les relations entre le pouvoir politique et les chefs militaires. Une frange de l’armée, à la faveur de cette affaire, n’hésitera pas à empiéter sur la sphère politique, qui connaît selon eux de graves problèmes. Le pouvoir politique, qui assume la responsabilité des grandes orientations sans toujours solliciter l’avis des chefs militaires qui considérés comme des auxiliaires; a reçu une sévère mise en garde : «si rien n’est entrepris, le laxisme continuera à se répandre inexorablement dans la société, provoquant au final une explosion et l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national.»
La question n’est pas soulevée dans les seuls cénacles militaires. Parlementaires et politiques rédigent régulièrement rapports et ouvrages relatifs à la défense et à la sécurité nationale. La France présente selon les observateurs le profil institutionnel, économique et social le plus contrasté, avec une alternance confuse et indistincte de périodes de décadence et de phases de redressement. L’apparition d’un terrorisme médiatisé, les réponses des pouvoirs publics sous la forme de dispositifs d’urgence, l’installation progressive du radicalisme dans certains quartiers, le surgissement de graves incidents liés à la discrimination raciale condensent la plupart des malaises de la société française.
Cette bronca de ceux qui, naturellement disposés à servir sous les armes, alertent sur le déclin général de la France, prouve que le primat de l’obéissance au pouvoir légitime est désormais contestable, dans les faits, ou du moins conceptuellement. Une imbrication du corps militaire et des structures de décision est-elle possible en France ?