Soutiens et adversaires du président Kais Saied s’affrontaient lundi devant le Parlement tunisien bloqué par l’armée. Les partis d’oppositions dénoncent un coup d’Etat après la décision du président de suspendre la chambre pour une durée de 30 jours et de s’octroyer le pouvoir exécutif dimanche.
Des heurts ont éclaté lundi devant le Parlement tunisien barricadé par l’armée après la suspension des activités de la chambre par le président Kais Saied et du limogeage du Premier ministre, plongeant la jeune démocratie dans une crise constitutionnelle en pleine pandémie.
L’armée a aussi encerclé à Tunis le siège de la présidence du gouvernement empêchant le personnel d’y accéder, ont affirmé des fonctionnaires de la Kasbah. Le Premier ministre Hichem Mechichi qui a été démis de ses fonctions dimanche soir par le président – dans un contexte de fort ressentiment populaire envers le gouvernement pour sa gestion de la crise sociale et de la pandémie – était injoignable lundi en début d’après-midi.
Ennahdha dénonce un coup d’Etat
Après une journée de manifestations dimanche dans de nombreuses villes du pays, le président Saied a annoncé «le gel» des activités du parlement pour 30 jours. Il s’est également octroyé le pouvoir exécutif, «avec l’aide d’un gouvernement» dont il désignerait le nouveau chef.
Ennahdha, principal parti parlementaire, a fustigé ces mesures, dénonçant «un coup d’Etat contre la révolution et contre la Constitution», dans un communiqué. La décision du président a aussi été critiquée à l’étranger.
Ankara, allié d’Ennahdha, a notamment appelé à restaurer la «légitimité démocratique» et Berlin à «revenir à l’ordre constitutionnel le plus rapidement possible».
L’Allemagne a également appelé au «respect des libertés civiles, qui est l’un des gains les plus importants de la révolution tunisienne» de 2011, souvent présentée comme la seule réussie du printemps arabe.
Jets de pierres et de bouteilles
Plusieurs centaines de partisans du président Saied et d’Ennahdha échangeaient lundi des jets de bouteilles et de pierres devant le Parlement à Tunis, ont constaté des journalistes de l’AFP. En sit-in devant la porte close du Parlement depuis plusieurs heures, Rached Ghannouchi, chef d’Ennahdha et président du Parlement, est empêché d’y entrer par les forces militaires.
Ces mesures visent à «changer la nature du régime politique en Tunisie et le transformer d’un régime démocrate parlementaire à un régime présidentiel, individuel et autoritaire», a estimé Samira Ghannouchi dans une déclaration publiée sur la page officielle d’Ennahdha.
Kais Saied a déclaré que la Constitution n’autorisait pas la dissolution du Parlement, mais lui permettait de la suspendre, selon l’article 80, en cas de «danger imminent». Cet article s’applique pour 30 jours, à l’issue desquels la Cour constitutionnelle est chargée de trancher sur leur éventuelle reconduction. Mais depuis l’adoption de la Constitution en 2014, les calculs politiques des partis ont empêché la mise sur pied de cette institution.
Un contexte de hausse des cas de covid
Ce coup de théâtre fragilisant la jeune démocratie tunisienne intervient après un bras de fer depuis six mois entre Rached Ghannouchi et le président Saied, qui désorganise les pouvoirs publics alors que la Tunisie fait face depuis début juillet à un pic épidémique.
Avec ses quasi 18 000 morts pour 12 millions d’habitants, le pays a l’un des pires taux de mortalité officiels au monde. La semaine dernière, Hichem Mechichi avait limogé son ministre de la Santé alors que les cas montaient en flèche, le dernier d’une série de ministres de la Santé à être limogés.
Après le discours de Kais Saied, des milliers de Tunisiens étaient sortis dans la rue dimanche soir en dépit du couvre-feu. Ils ont tiré des feux d’artifice et klaxonnant avec enthousiasme à Tunis et dans plusieurs autres villes.
Le rejet des partis d’opposition
Outre Ennahdha, les partis de sa coalition, Qalb Tounes et le mouvement islamiste nationaliste Karama, ont condamné les décisions de Kais Saied. Dans l’opposition, le Courant démocratique, parti socio-démocrate qui a plusieurs fois soutenu le président Saied, a rejeté sa prise de pouvoir.
Le Courant démocratique a néanmoins imputé la responsabilité de «la tension populaire et de la crise sociale, économique et sanitaire et le blocage des horizons à la coalition au pouvoir dirigée par Ennahdha». Le parti Chaab, petite formation nationaliste a de son côté appuyé ces décisions, assurant que Kais Saied avait «pris ses responsabilités» pour «rectifier le processus de la révolution».