Des chercheurs de l’Université Mohammed VI Polytechnique et du groupe OCP, en coopération avec l’Italie, ont exploré les sols du mont Toubkal et y ont décelé la présence de microplastiques jusque dans les altitudes les plus élevées. Ces fragments, invisibles à l’œil nu, rappellent que nulle cime, fût-elle isolée, n’échappe à la diffusion planétaire des déchets plastiques. L’étude offre un éclairage nouveau sur la circulation des polluants dans les environnements extrêmes.
Une étude scientifique menée sur le mont Toubkal, point culminant de l’Afrique du Nord (4 167 m), révèle la présence généralisée de microplastiques dans les sols, depuis les vallées agricoles jusqu’aux altitudes les plus élevées. Ce travail, conduit par Mohamed Rida Abelouah et ses collaborateurs de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) avec le soutien du groupe OCP, en collaboration avec le chercheur italien Giuliano Bonanomi, constitue la première exploration altitudinale de ce type au Maroc (Environmental Pollution, 2025).
Les auteurs indiquent que «les microplastiques (MP) apparaissent désormais comme des contaminants émergents dans les écosystèmes terrestres, mais leur répartition et leurs effets écologiques dans les sols de montagne demeuraient jusqu’ici mal connus.» Sur le versant du Toubkal, «des échantillons de sol ont été prélevés entre 500 et 4 167 mètres d’altitude, puis analysés pour déterminer l’abondance, la morphologie, la taille, la couleur et la composition polymérique des particules.» Les chercheurs ont eu recours à «une séparation par densité et une stéréomicroscopie, la confirmation des polymères ayant été assurée par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR) et l’observation des surfaces par microscopie électronique à balayage couplée à l’analyse dispersive d’énergie (SEM-EDX).»
Les résultats attestent que «des microplastiques ont été détectés sur l’ensemble des sites étudiés, totalisant 1 693 particules et une concentration moyenne de 23,2 MP par kilogramme de sol.» Les fibres en constituent la majorité, «notamment aux altitudes les plus élevées, tandis que les particules de petite taille (< 500 μm) et les polymères légers, tels que le polystyrène et l’acétate de cellulose, augmentent avec l’altitude.» Les observations de surface confirment «une altération environnementale manifeste des particules.»
Les analyses moléculaires révèlent par ailleurs «une absence de réaction significative des communautés bactériennes à la présence des microplastiques, mais une diminution de la richesse et de la diversité fongiques corrélée à l’abondance des fibres, du PVC et des particules de petite taille.» Les auteurs en concluent que «les microplastiques agissent comme des filtres environnementaux influençant sélectivement certaines lignées fongiques.»
Gradient altitudinal et traits des polymères
L’équipe rappelle que «les propriétés des plastiques – polyvalence, stabilité et faible coût – expliquent leur diffusion mondiale, mais aussi leur persistance dans l’environnement.» Sous l’effet du rayonnement solaire et des contraintes climatiques, «ces matériaux se fragmentent en microplastiques de moins de cinq millimètres.» Leur légèreté favorise «leur transport par le vent et l’eau, ce qui en fait des polluants ubiquistes des mers, des rivières et des sols.»
Les chercheurs soulignent que «si les premières études portaient sur les milieux marins, l’attention s’est désormais déplacée vers les sols, où les microplastiques modifient la rétention d’eau, les conditions de croissance végétale et la fertilité, en affectant l’activité microbienne.» En raison de «leur hydrophobicité et de leur surface spécifique élevée,» ces particules «adsorbent aussi des métaux lourds et des composés organiques persistants, aggravant les risques écotoxicologiques.»
L’étude précise que «les sols des hautes montagnes demeuraient parmi les compartiments terrestres les plus méconnus à cet égard.» Pourtant, des contaminations comparables ont été observées «sur le plateau tibétain ou dans les déserts iraniens, attestant de la portée planétaire du phénomène.» Sur le Toubkal, «la combinaison du gradient altitudinal, de la fréquentation touristique et des dépôts atmosphériques offre un terrain d’étude unique pour suivre la dispersion des microplastiques.»
Les données recueillies mettent en évidence «une distribution en forme de U de l’abondance des particules, culminant aux altitudes les plus basses et les plus hautes (500 m et 4 167 m).» Cette répartition s’expliquerait par «les activités agricoles et les agglomérations dans les vallées d’une part, et les dépôts atmosphériques de longue portée aux plus hautes altitudes d’autre part.»
Conséquences écologiques et portée scientifique
Selon les chercheurs, «les particules les plus fines et les polymères légers tendent à se concentrer à mesure que l’altitude augmente, tandis que les fibres demeurent la morphologie dominante à toutes les hauteurs.» Cette tendance traduirait «l’influence conjointe des apports anthropiques locaux et des retombées atmosphériques régionales.»
Sur le plan biologique, «aucune modification marquée n’a été constatée dans la composition bactérienne des sols, mais la diversité fongique décroît nettement avec la densité des microplastiques fibreux.» Certaines lignées fongiques, précisent les auteurs, «répondent de manière sélective aux traits physiques ou chimiques des particules, révélant le rôle des microplastiques comme facteurs de filtrage écologique.»
Les chercheurs concluent que «les sols alpins du Haut Atlas ne sont pas épargnés par la pollution plastique mondiale et que les effets sur la diversité microbienne, notamment fongique, dépendent étroitement de la nature des polymères et de leur degré de fragmentation.» Cette étude, affirment-ils, «souligne la nécessité d’intégrer l’hétérogénéité des microplastiques dans toute évaluation des risques écologiques liés à leur présence dans les sols de montagne.»
L’équipe, composée de Mohamed Rida Abelouah, Giuliano Bonanomi, Lamiae Oulbaz, Ayoub Idbella et Maryam Ouheddo, a bénéficié «du soutien financier du groupe OCP et de l’Université Mohammed VI Polytechnique, à travers le budget discrétionnaire du poste d’assistant professoral de M. Idbella.»