Le secteur du tourisme est actuellement un sujet qui fait débat. Dans l’attente de la décision du gouvernement par rapport à l’ouverture des frontières, les spécialistes du domaine comme la majorité des citoyens restent dans l’attente d’une nouvelle réjouissante. Cette ouverture permettra à l’économie du tourisme de reprendre ses forces, il s’agit des établissements hôteliers, des compagnies aériennes, du capital humain, du tourisme domestique, durable et des domaines partenaires. Entretien avec Wissal El Gharbaoui, secrétaire générale de la CNT.
Wissal El Gharbaoui est secrétaire générale de la Confédération nationale du tourisme (CNT). Elle est experte en intelligence économique et management stratégique, diplômée de l’école de guerre économique de Paris. Fonctionnaire pendant plus de 25 ans dans le domaine du tourisme auprès d’institutions publiques et privées, nationales et internationales et directrice de cabinet du ministre durant près de 10 ans.
Les hôtels, principales structures d’hébergement, ont-ils été épargnés par les effets néfastes de Covid-19 ?
Aucun métier du tourisme, aucune activité liée au tourisme n’a été épargnée par la crise. L’hébergement touristique, qui représente 65% de l’économie touristique marocaine, a été sévèrement touché. Les investissements dans ce métier sont extrêmement lourds et à très long terme. Donc forcément, le poids de la crise peut s’avérer très important sur ces structures. Maintenant, il faut aussi souligner l’impact sur tous les métiers de l’écosystème. Il est évident, que toute la chaîne de valeur a souffert sévèrement et continue de souffrir des effets de cette crise.
Depuis le déclenchement de la crise il y a près de deux ans, le secteur a enregistré une régression moyenne de près de 80% en terme d’activité pour les principaux indicateurs (nuitées, chiffre d’affaires…). 30% des entreprises du secteur sont en risque sévère de faillite. Des milliers d’emploi menacés et des centaines de familles se retrouvent dans une grande fragilité. L’enjeu et de tout mettre en œuvre pour éviter que la crise économique induite par la pandémie ne se transforme en crise sociale.
Quels étaient les facteurs dominants ayant contribué à la régression du secteur touristique au Maroc ?
Incontestablement le facteur de la mobilité. Depuis le début de la crise, il a été constaté que toutes les décisions prises pour tenter de juguler la pandémie ont d’abord concerné la mobilité des individus, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale. Ce sont des décisions administratives qui imposent aux opérateurs du secteur touristique d’arrêter de travailler. Ces décisions étaient certainement justifiées d’un point de vue sanitaire à une certaine période, mais en ce début d’année 2022, maintenir les frontières aériennes et maritimes fermées n’a plus aucun fondement.
Le volet du transport aérien est aussi le grand perdant dans cette crise. La compagnie nationale fortement fragilisée au début de la crise, se retrouve aujourd’hui à un niveau de criticité très élevé, au point de faire appel à nouveau à une intervention financière de l’Etat. C’est tout le modèle du transport aérien au niveau de notre pays que nous devons repenser. Nous avons signé il y a plus de 20 ans les accords d’Open Sky, mais nous devons aller jusqu’au bout de la démarche, en nous appuyant sur des partenaires de classe mondiale, avec une approche renouvelée et un objectif de compétitivité globale de la destination Maroc. Le secteur de l’informel est également un sujet qui fragilise le secteur du tourisme. Il est impératif d’attaquer ce chantier avec sérieux et détermination.
Pouvez-vous nous parler des effets et conséquences de la crise économique causés par cette pandémie sur le capital humain au sein des structures d’accueil en l’occurrence les hôtels ?
Depuis le début de la crise, nous avons priorisé le sauvetage des emplois. Parce qu’il s’agit de talents, de compétences qui ont coûté du temps et de l’argent en terme de formation et de mise à niveau. C’est une composante-clé de la compétitivité de la destination Maroc, il est de notre responsabilité de préserver ce capital humain. Malheureusement, la crise qui dure depuis bientôt deux ans a mis une grande pression sur le capital humain des entreprises d’hébergement, et plusieurs compétences se sont soit reconverti dans d’autre secteurs pour assurer le maintien de leur revenus après avoir perdu leur emploi, soit se sont déployées dans d’autres pays, notamment au moyen orient pour intégrer des structures hôtelières ou de la restauration. Il faudra impérativement consacrer une partie du budget du plan de relance à la formation de nouveaux talents et à la montée en compétence des travailleurs du secteur pour préserver sa compétitivité.
À l’issue des effets néfastes et dévastateurs de covid-19, les responsables marocains ont-ils repensé le modèle de management actuel du tourisme national ?
Le modèle de gouvernance du secteur est un véritable sujet auquel il faudra s’attaquer à moyen terme, et une fois sorti de la crise. La transversalité du secteur et la complémentarité entre les acteurs du public et du privé nous imposent de renforcer le modèle de partenariat public-privé qui privilégie davantage l’approche territoriale.
La crise a démontré, si tant il fallait une démonstration, que la concertation entre le public et le privé doit être continue et sereine. Le tourisme marocain est un important contributeur économique au PIB (7% rien que pour le volet international), 80 milliards de dirhams en devises (plus que les exportations du phosphate et de l’automobile), un demi million d’emplois directs, c’est aussi un formidable outil de diplomatie parallèle. Il est important de réactiver le conseil stratégique du tourisme, qui est présidé par le chef du gouvernement, de sorte à ce que les problématiques stratégiques liées à l’investissement, à la compétitivité et à la performance économique du secteur du tourisme bénéficie des arbitrages nécessaires en temps opportun. Cette instance doit être une véritable force de proposition et de décision.
Du côté du secteur privé, la CNT a priorisé dans son plan d’action le renforcement des instances métiers à l’échelle nationale de même que la représentativité régionale, justement dans un esprit collaboratif qui se construit à partir des métiers et des territoires dans le cadre d’une vision commune et d’une action intégrée et durable.
Nous avons également instauré dans nos structures un conseil des jeunes qui a d’abord pour but de révéler les talents chez les jeunes entrepreneurs pour créer un vivier de compétences, à même de prendre le relais et présider aux destinées du secteur du tourisme qui est en perpétuelle évolution.
La crise va imposer des transformations structurelles de l’industrie touristique. Il est dans notre intérêt de tirer le meilleur profit des ces transformations pour rehausser le positionnement de la marque Maroc et la compétitivité de notre destination. Enfin, le pilotage du secteur nécessite des outils performants d’aide à la décision. Le secteur doit renforcer le rôle de l’observatoire et sa contribution à produire de la data de classe mondiale qui nous permet un monitoring efficace, basé sur des indicateurs pertinents et fiables.
Qu’en est-il du tourisme domestique et du tourisme territorial et durable ?
Le marché intérieur représente environ 33 % du total des nuitées enregistrées dans les établissements d’hébergement touristique classés. Notre ambition est d’atteindre 50% de volume des nuitées, pour avoir une demande intérieure solide et pérenne. Pour cela, nous devons opérer des évolutions structurelles : révision du calendrier des vacances en optant pour une segmentation en 3 ou 4 régions pour allonger la saisonnalité et baisser la pression sur la demande et donc sur les prix. Cela a été déployé entre 2014 et 2016 et a eu un effet positif (+36 jours sur l’année).
Le dispositif de l’épargne vacances (ou chèque tourisme) est important. Il a fait ses preuves dans de nombreux pays. Nous devons activer les textes d’application de ce dispositif, et faire en sorte que cette épargne soit défiscalisée pour encourager aussi bien les salariés que les employeurs (publics et privés) à y recourir. Cela aura un effet direct sur la stimulation de la demande intérieur et sur la réduction de la fréquentation de l’informel.
Le système de distribution doit également être renforcé. Il n’est pas normal qu’un citoyen de Casablanca passe par une plateforme internationale pour réserver un hôtel à Marrakech ou Agadir ! Le tissu de distribution du voyage doit être repositionné, notamment en matière de digitalisation. L’expérience touristique dans sa globalité doit être concluante. Le parcours client interpelle également les conseils communaux, qui sont des partenaires essentiels, pour les infrastructures publiques, l’accessibilité, la signalisation, l’animation culturelle et artistique…etc